Je me nomme François Rousseau. Celui qu'hier on a pensé honorer en le couchant entre Descartes et Voltaire dans la crypte du Panthéon naquit sept ans après moi. Tu avais onze ans quand je quittai notre pays natal pour n'y plus jamais revenir. Puis-je prétendre te mieux connaître que ceux qui t'enterrèrent hier ? Je le crois. Nous n'étions d'abord frères que par les hasards du sang, lesquels ne valent guère plus que le peu de foutre qui les cause ; mais, je le dis hautement, j'ai conquis par mon existence le droit de m'adresser à toi. Quant à l'idée de composer le présent mémoire, voici comment elle me vint. Un ami me prêta le volume premier de tes Confessions, qui venait de paraître. Le titre m'en déplut, parce qu'il puait la sacristie et l'encens refroidi. Pourtant je lus l'ouvrage d'une traite, mais non sans un vif agacement sur la scène immense de ton orgueil tous les personnages de ta vie paraissaient en figurants, des plus illustres aux plus humbles. Quant à ton frère François, tu ne le mentionnais que trois ou quatre fois. Pour un homme qui prétendait dire la vérité entière, tu te faisais d'elle une image bien singulière ; à telles enseignes que je pensai qu'il serait plaisant d'administrer à ces pompeuses confessions la correction qu'elles méritaient. Puis j'eus mieux à faire qu'écrire, et me voici parvenu à la fin de ma vie : j'écrirai maintenant, ou jamais. (Fils unique, Prologue, p. 14-15)

Le prix des Deux-Magots 2007 a été décerné mardi 30 janvier à Stéphane Audeguy pour Fils unique (Gallimard).

Stéphane Audeguy est né à Tours en 1964.
Agrégé de Lettres Modernes, il a été assistant à l’université de Charlottesville (Etat de Virginie, Etats Unis), a travaillé dans le milieu du cinéma, et enseigne aujourd’hui l’histoire du cinéma et de la littérature. Il vit à Paris.
Il a publié :
- La théorie des nuages (Gallimard, 2005)
- Fils unique (Gallimard, 2006)
On peut lire en ligne un entretien avec Nathalie Jungerman (Fondation La Poste).