sa plus sournoise prison
Par cgat le vendredi 2 février 2007, 00:10 - écrivains - Lien permanent
Ce que l'on a, un jour, appelé fiction n'existe plus et nul ne peut aujourd'hui
nier les effets subversifs de cette catégorie d'écrits trop longtemps portée
aux nues. En donnant de Ia réalité des représentations illusoires, en la
distordant pour prétendument révéler son sens caché ou en abusant de cette
manie qu'est l'invention d'histoires, les écrivains de fiction ont communiqué
leurs frustrations à leurs semblables ; ils ont créé chez eux des souhaits
démesurés et par contraste mis en valeur la monotonie de leur vie. Leur méthode
se fondait sur l'utilisation excessive du processus d'identification qui leur
permettait de magnifier les sentiments les plus ambigus, les plus
contradictoires de leurs lecteurs et ainsi de les plonger dans l'incertitude et
Ia consternation. Au cours des décennies passées, la fiction est apparue de
plus en plus comme une menace pour l'évolution de l'humanité, ses écrivains
comme les promulgateurs d'un malaise qui aurait dû demeurer entièrement le
leur. L'imagination, nous le savons à présent, n'est pas un atout de l'être
humain mais sa plus sournoise prison.
Céline Curiol, Permission (Actes sud, 2007, p. 100-101)
Née en 1975 à Lyon, Céline Curiol a publié auparavant Voix sans issue (Actes sud, 2005 ; Babel, 2006)
à lire :
- Vincent Roy, « Céline Curiol et Antoine Bello : sortir des prisons de
verre », Le Monde des livres, 25 janvier 2007
- Agnès Séverin, « L'imagination, voilà l'ennemi », Le Figaro, 25
janvier 2007
Commentaires
"L'imagination, nous le savons à présent, n'est pas un atout de l'être humain mais sa plus sournoise prison."
vraiment, cette phrase laisse dubitatif...céline curiol devrait s'instruire sur ce qu'elle appelle la réalité:
"Les idées fictives se nourrissent
Des erreurs suscitées par les apparences.
Ces idées sont donc le réel
Puisque les apparences ne sont pas des idées." (Soûtra de l'entrée à Lankâ,X,58)
Le Lankavatarâ est un ouvrage datant du Vème siècle pour sa plus ancienne version écrite connue, la première traduction française a été publiée en 2006 chez Fayard.
je dois préciser, gmc, qu'il ne s'agit pas là de l'expression d'une opinion : cette citation est extraite d'un roman où Céline Curiol décrit une société d'anticipation dont tel est le dogme (vous pouvez vous reporter aux articles cités pour en savoir davantage)
il s'avère que cette phrase n'a pas été lue ici comme une opinion.
il s'avère également que le soûtra cité à la suite dit que ce qui est communément qualifié de "réel" est en fait un agrégat d'idées fictives, ce qui est une description on ne peut plus conforme du monde phénoménal.
il s'avère donc que la phrase en question est une excellente description de ce monde phénoménal et des croyances en vigueur dans cette "brillante" "civilisation" occidentale ainsi que des habitudes comportementales de ceux qui la peuplent.
une société d'anticipation... pourquoi pas, si vous le dites... voilà donc le pourquoi de "dubitatif".
(la pratique de la poésie - dans laquelle un monde est créé ou recréé à chaque nouveau poème - n'incite pas énormément à la lecture, éventuellement à celle d'autres poètes, mais pas à celle de formes de distraction légères et dilluées comme le roman, pas plus d'ailleurs qu'à celle d'autres ouvrages prétendument pseudos-scientifiques mais qui, au final, se révèlent être intégralement construits sur du vent - ceci regroupe l'entièreté de cette nouvelle religion appelée science et de ses succursales-)
la plupart des romans d'anticipation décrivent bien évidemment (avec plus ou moins d'acuité) nos sociétés et croyances actuelles ... mais si vous refusez d'en lire (choix qui vous appartient et que je respecte) vous ne pouvez que l'ignorer
C'est amusant, juste avant d'arriver sur cette page, je tombe chez http://dvanw.blogspot.com/ sur ceci:
"Ce que Rizzolati, Gallase et Iaccoboni (université de Parme) ont découvert en 1996, c'est qu'une partie de ces neurones, les neurones miroirs (1) vont réagir exactement de la même façon en accomplissant une action et en regardant quelqu'un d'autre l'accomplir. L'espèce qui aurait développé le plus de neurones miroirs... Ben c'est nous.
Ce sont les neurones miroirs qui nous permettraient d'éprouver de l'empathie, de deviner les intentions ou les sentiments d'autrui. Ce sont eux aussi ( par leur défaillance ) qui seraient responsables de l'autisme... Ce sont eux, surtout, qui nous permettraient d'apprendre par imitation, nous laissant du coup l'opportunité de développer une culture, ( un patrimoine cognitif transmis de génération en génération ) qui semble l'apanage de quelques rares primates parmi lesquels homo sapiens et le chimpanzé."
La science contre la science-fiction :-)
merci pour cette citation et ce lien, Joël : j'aime bien cette théorie des "neurones miroir"
mais pourquoi "contre la science-fiction" ? au contraire, si les neurones miroirs réagissent "de la même façon en accomplissant une action et en regardant quelqu'un d'autre l'accomplir" c'est un argument de poids en faveur de l'importance (pour construire notre humanité) de la lecture de toutes les fictions, qui est dès lors promue par la science comme véritable expérience, au même titre qu'une expérience dite réelle (d'ailleurs Ramachandran parle très bien de l'expérience artistique).
vous savez, christine, ce n'est pas réellement un refus; fut un temps où le roman, d'anticipation entre autres, était un vecteur apprécié ici, ce n'est plus le cas (pour de nombreuses raisons).
il se trouve que souvent une seule phrase poétique donne plus à moudre que des tonnes de romans (alors, a fortiori, quand on la pratique...);
voici un exemple - pour faire dans l'actu - avec cette citation de rené char qui, à elle seule, pose plus de questions et de confrontations à chacun que la lecture robotique d'un pavé de 900 pages comme "les bienveillantes"; une seule phrase...ne vous pressez pas pour la contempler, elle nécessite un peu plus qu'un regard furtif...
"La perte de la vérité, l'oppression de cette ignominie dirigée qui s'intitule "bien" (le mal, non dépravé, inspiré, fantasque est utile) a ouvert une plaie au flanc de l'homme que seul l'espoir du grand lointain informulé (le vivant inespéré) atténue."
alors, à quoi bon surfer sur 900 pages de descriptions de tortures, d'éxécutions et autres joyeusetés du même style, si une phrase est suffisante pour définir les contours de la question?
remarquez, en ce cas de figure, il est une autre phrase qui peut expliciter le succès de l'ouvrage cité: "le regard se tourne toujours vers ce qui l'attire et lui plait" (je vous laisse en tirer les conclusions que vous souhaitez...)
le plaisir de la lecture peut prendre différentes formes et il est également agréable de s'embarquer au long cours dans un texte romanesque, pas forcément pour y trouver un surplus de signification d'ailleurs, plutôt pour entrer dans un style - une vision du monde
en revanche je suis d'accord avec vous : je pense qu'on peut se dispenser de lire les Bienveillantes !
"le plaisir de la lecture peut prendre différentes formes et il est également agréable de s'embarquer au long cours dans un texte romanesque..."
personne n'a dit le contraire...mais, juste une chose: il existe un au-delà du plaisir dans lequel se ruine une éventuelle vision du monde (qu'il conviendrait plutôt de dire hallucination ou rêve du monde).
les "au-delà" quels qu'ils soient ne sont à mon sens que pure science-fiction : des illusions plus illusoires que la fiction car acharnées à se faire passer pour vraies auprès des crédules
la science-fiction commence au moment même où vous qualifiez de réalité un amalgame de perceptions déformées par un processus, le mental, que vous ne maîtrisez aucunement (si vous le maîtrisiez, vous pourriez sans aucun problème arrêter de penser cinq minutes consécutives, ce que vous êtes dans l incapacité de faire).
la crédulité commence en effet à ce niveau, croire que "je" pense alors même que l observation rigoureuse montre que "ça" pense ou, en plus sophistiqué, "un processus non assujetti à la volonté d un individu supposé produit des pensées de manière automatique, mécanique et quasi-permanente", ou, pour faire culturisé, "ce n est pas le penseur qui crée la pensée, mais la pensée qui crée le penseur" (jiddu krishnamurti).
au lieu de présumer une opinion basée sur rien d autre que des convictions sécuritaires, mettez donc à l épreuve votre propre crédulité... ceci, au cas où votre peur vous autorisait à le faire. après cela, il sera toujours temps d en reparler éventuellement.
c'est cela, repassez "éventuellement" plutôt à ce moment-là
aucun souci, de plus, pour paraphraser beckett, "c'est sans importance".
Evite tout de même de balancer les doubitchous et le kloug par la fenêtre...
je vois que nous avons les mêmes références...