entassement non panoramique
Par cgat le mardi 27 février 2007, 00:39 - blogs et internet - Lien permanent
Un dernier détail de Piero della Francesca pour vous remercier d'avoir continué à lire et animer par vos commentaires les lignes de fuite pendant mon absence !
Je veux voir la boîte d’albâtre mystérieuse et translucide qu'y tient Marie-Madeleine comme une antidote à la déprimante « fosse à bitume » de François Bon, métaphore injustement négative pour rendre compte de l’entassement vertical des billets des blogs, en sédiments certes éphémères mais pas davantage promis à l’oubli que toutes les autres humaines créations.
Sans doute ce texte intéressant est-il très juste sur plusieurs points, mais il me semble accuser les blogs d’évolutions qui sont celles d’internet en général : en se démocratisant, les formes d’expression en ligne se sont aussi standardisées, et il n’est plus temps d’opposer des sites dont la forme serait travaillée et personnelle à des blogs sans personnalité ... ici comme là on trouve quelques pépites et beaucoup de déchets.
Je préfère pour ma part parcourir le chaos bavard d’internet comme Orion - aveugle et égaré - les carrefours de sens ... ou comme Michaux le dictionnaire :
Une de mes joies de toujours, c'est dans un état détaché, souvent sorti d'un découragement, de contempler un entassement non panoramique des efforts de l'humanité. Je prends donc un dictionnaire. Tous ces bourgeons humains, dans leur foule alphabétique (je ne lis aucune définition) bien plus qu'aucune grande idée, m'émeuvent et m'agrandissent tout en m'humiliant justement.
Étincelles du monde du dehors et du dedans, j'y contemple la multitude d'être homme, la vie aux infinies impressions et vouloir être, et j'observe que ce n'est pas en vain que le monde humain existe. Même je succombe bientôt à ces myriades d'orbites.
Henri Michaux, « Idées de traverses » (1942) dans Passages (Gallimard, p. 19-20)
Commentaires
"opposer des sites dont la forme serait travaillée et personnelle à des blogs sans personnalité", c'est surtout prendre le risque à très court terme d'un nouveau formalisme, avec son cortège de gratuité et d'académisme...
Pour ma part, je tourne le rouleau et j'incrémente comme passent les jours de la vie. L'essentiel est dans le texte.
A propos d'empilement, j'ai été surpris par supris par la nuit, hier soir sur France Culture
http://www.radiofrance.fr/chaines/f...
Avec pour titre extinction des voix, on avait là affaire à la voix d'Alain Veinstein , qui, dans un flot de paroles, faisait l'éloge du silence face au bruit continu de la radio...
Heureusement, quelques minutes après nous retrouvions le même, avec Peter Stamm, dans la tonalité intime qui se rapproche beaucoup plus du silence que nous aimons...
ce qui est déprimant, ce n'est pas mon article, c'est le constat - contrairement d'ailleurs au css de lignes de fuite - de voir combien de blogs se privent de valoriser leur contenu en se satisfaisant de la maquette pré-fournie standard, sans possibilité de navigation
ces "fosses à bitume" sont des objets géologiques fascinantes, et pas du tout "négatifs" dans la métaphore, en tout cas c'est comme ça que je l'entendais
la boîte d'albâtre me convient tout à fait comme métaphore de la quête qu'on mène à tâtons et selon affinités dans la profusion du Net au quotidien
n'empêche que je m'accroche quand même à cette idée que contenu et contenant vont de pair,et que si on veut avancer côté texte il faut se saisir aussi de la machine
et merci pour la belle démonstration de site en pilotage automatique avec l'homme de Salses en agitateur post-mortem plein de vie...
j'ajoute quand même que ce serait une posture sacrément ridicule de vouloir "accuser les blogs" !
ce texte était réaction/lecture sujective/questionnement à une très belle étude (mémoire de maîtrise sous la direction de Michel Bernard) qui appréhendait le web littéraire juste AVANT le décollage des blogs : on n'a pas tant de matériau que ça pour appréhender ce qui est notre propre histoire...
et je continue de recommander d'y aller voir :
http://www.elores.com/memoire/
merci FB pour l' "homme de Salses en agitateur post-mortem plein de vie..." (et de la "rage" que vous aviez bien décrite) !
« déprimante » c’était pour taquiner, et je ne parlais pas d' « accuser les blogs » mais de les « accuser d'une évolution » plus générale (ce qui est différent et pas ridicule)
je persiste à penser que ce n'est pas en terme d'avant / après les blogs (qui sont sans doute un phénomène en partie éphémère, déjà en train de laisser place aux amis de myspace ou aux déambulations dans second life) que le problème se pose, mais que la standardisation dont vous parlez résulte bien davantage du nombre grandissant de personnes qui ont envie de mettre leur grain de sel et du contenu (quel qu'il soit) en ligne ; de plus en plus de logiciels proposent des sites clés en main tout aussi standardisés que les blogs.
c'est d’ailleurs aussi une évolution de l'informatique en général : on peut regretter la souplesse du temps des écrans bleus du dos, mais les interfaces actuelles, même contraignantes et automatisées, sont tout de même pratiques
s'accrocher avec nostalgie à ce qu'était l'internet littéraire des « pionniers » ne me semble pas de mise dans ce domaine où tout évolue très vite : je préfère prendre acte, laisser les machines (désirantes ou pas) évoluer, observer la cacophonie grandissante qu'elles produisent ...
et puis je n'ai jamais aimé les « il faut » (« …se saisir aussi de la machine » écrivez-vous) : personnellement cela m'amuse de soigner l'apparence et de bidouiller les balises css, et si j'avais plus de temps j'aimerais apprendre à le faire beaucoup mieux, mais rien n'oblige ceux que cela n'amuse ou n'intéresse pas à le faire
on peut aussi légitimement penser comme Berlol que « l'essentiel est dans le texte » qui a lui aussi son contenu et son contenant, sur lequel on peut choisir de concentrer ses efforts comme au temps du papier
ok, et surtout persuadé quee c'est bien pour nous tous d'avoir ces questions là dans coin de la tête
il ne s'agissait pas de nostalgie, pour cette étude réalisée par l'étudiante de Michel Bernard, mais bien d'un excellent photomaton du Net littéraire, et vrai que ça donne à réfléchir, pas du tout à regretter - pionnier c'est pas moi : c'est Berlol de Phalèse et les autres!
allez, "il faut" aller lire, c'est l'heure
Pour ce qui est du début des années 90, nos expériences sont synchrones, je crois, François. Et puis ce n'est pas à un écrivain que je vais rappeler que "l'essentiel est dans le texte" !
Outre la qualité des textes, ce qui est déterminant pour moi dans les blogs, c'est 1. présence ou absence de publicité (et plus ou moins intrusive), 2. le choix de disposer des liens hypertextes dans le texte (j'ai du mal à lire les pavés de 50 ou 200 lignes qui sont mis là comme si c'était du papier). Mais, c'est tout à fait perso, je n'oblige personne.
et puis vous parlez là des "grands" blogs, et qui demandent, outre la capacité d'écrire et de penser, un minimum de familiarité avec l'informatique. Alors, en effet ne pas tenir compte des possibilités et entasser les phrases comme on entassait les feuilles
"entasser les feuilles" joli image aussi, brigetoun : le journal intime a toujours eu ce côté tas de feuilles ou de carnets ; Philippe Lejeune raconte quelque part qu'avant l'écran il aimait tenir son journal sur des pages blanches, une par jour, les poser l'une sur l'autre et se rejouir du tas de plus en plus haut ainsi constitué
en parlant de liens, berlol (outre le fait que moi-aussi j'aime en trouver le plus possible dans les blogs) je me dis chaque fois (très très rarement, précisé-je pour ceux de mes collègues qui me lisent!) que je parcours le jlr au bureau (où explorer est paramétré, sans possibilité de modification par les pauvres ignares en informatique que sont tous les bibliothécaires aux yeux des techniciens informatiques, sans soulignement des liens) que tu devrais y mettre un peu de couleur ou de gras pour faciliter le clic (sinon on en est réduit, sachant qu'il y a plein de liens, à essayer de deviner où ils se trouvent (ce qui peut avoir son charme mais devient vite fastidieux) ou à trainer lamentablement sa petite main pointeuse de souris (comme quand à l'école primaire on déchiffrait les mots, ce qui nous rajeunit, mais un peu trop tout de même!)...
Je me demande bien sur quoi peut reposer, dans une convention d'entreprise, la décision d'imposer à tous les liens non soulignés. Surtout quand cette entreprise est censée exceller dans le "respect" des textes, typographies et enrichissements qui les ornent... Un combat à mener en interne, peut-être...
En ce qui concerne la lecture du JLR au bureau, tu n'as pas à t'en cacher. C'est un peu comme une obligation professionnelle, non ?
"obligation professionnelle" ... si on veut ... mais si j'inclus tout mon temps de lecture et de surf littéraire dans mon temps de travail, je vais exploser les 35 heures, voire les 24 heures par jour !
quant au "combat à mener" je crains qu'il ne soit contre les moulins à vent : ce n'est même pas une question de "décision d'imposer" ni de "convention d'entreprise", juste de "c'est comme ça" et de force d'inertie ...