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Et, si guerre il y a pourtant, pourquoi ne pas se plonger dans le parodique Bréviaire des artificiers de Mathias Énard, dont le sous-titre est :

« Manuel de terrorisme à l’usage des débutants
indiquant les conditions de temps et d’argent
pour y parvenir, les études à suivre, les examens à subir,
les aptitudes et les facultés nécessaires pour réussir,
les moyens d’établissement, les chances d’avancement et de
succès dans cette profession, le tout illustré de planches et
de figures, enrichi d’exemples et d’interludes divertissants,
propres à délasser l’âme dans l’étude. »

et où la dérision naît du décalage consistant à parler de la fascination-répulsion de l’époque contemporaine pour la figure du terroriste avec des mots du siècle des Lumières. Les illustrations très encyclopédiques de Pierre Marquès font partie intégrante du jeu.

Mon maître, lorsqu’il travaillait, déambulait en robe de chambre et en pantoufles dans notre demeure, absorbé dans ses pensées, s’arrêtant par instants pour tracer des croquis obscurs sur de grandes feuilles de papier. Il buvait fréquemment de généreuses rasades de rhum, boisson qu’il adorait. La plupart du temps il ne paraissait pas avoir besoin de moi. Je m’ennuyais de ne pas avoir à le servir et m’allongeais donc souvent devant la télévision pour me distraire, comme il est coutume dans notre île des Caraïbes. Je laissais divaguer mon esprit. Je pensais que mon maître ne prêtait aucune attention aux programmes que je pouvais regarder, mais un soir, alors qu’on donnait une émission consacrée à la destruction des tours, il me réprimanda ainsi :
« Ces Arabes sont des peigne-culs, Virgilio mon ami, ils ne méritent pas ton admiration. Évidemment, en bon nègre abruti par le petit écran, ton erreur est compréhensible. Il t’est facile de les idolâtrer pour des raisons futiles, la destruction de bâtiments affreux, la performance inédite de l’aviation civile, le sens de l’ordre et de l’organisation qu’on dit si rare dans ces pays lointains, ou même la gifle retentissante que ces David ont infligé à Goliath. Soit. Mais leur geste, Virgilio, le sens de leur geste est ridicule. Sans parler de leurs lunettes de soleil. Des peigne-culs. Des ignares. La débauche de moyens, de flammes, de symboles, de déclarations pompeuses, tout cela est aussi oiseux et déplacé qu’un terrain de golf à Riyad.

Mathias Énard, Bréviaire des artificiers (Verticales, 2007, p. 17-18)

Mathias Enard est né à Niort en 1972.
Après des études d’arabe et de persan et de longs séjours au Moyen-Orient, il s’installe en 2000 à Barcelone. Il y anime plusieurs revues culturelles ; il participe aussi au comité de rédaction de la revue Inculte. Il a publié :
- La Perfection du tir (Actes Sud, 2003) Prix des cinq continents de la francophonie, Prix Edmée de La Rochefoucauld
- Remonter l’Orénoque (Actes Sud, 2005)
On peut lire en ligne un entretien (aVoir-aLire, 2003)