un art de la disparition
Par cgat le mercredi 18 avril 2007, 00:07 - citations - Lien permanent
Quand je parle du temps, c'est qu'il n'est pas encore
Quand je parle d'un lieu, c'est qu'il a disparu
Quand je parle d'un homme, c'est qu'il est déjà mort
Quand je parle du temps, c'est qu'il n'est déjà plus
Parlons donc du monde d'où l'homme a disparu.
Il s'agit de disparition, et non pas d'épuisement, d'extinction ou
d'extermination. L'épuisement des ressources, l'extinction des espèces, ce sont
là des processus physiques ou des phénomènes naturels.
Et là est toute la différence, c'est que l'espèce humaine est sans doute la
seule à avoir inventé un mode spécifique de disparition, qui n’a rien à voir
avec la loi de la nature. Peut-être même un art de la disparition. (p.
9-10)
C’est là où on voit que le mode de disparition de l’humain (…) résulte
précisément d'une logique interne, d'une obsolescence intégrée, de
l'effectuation par l'espèce de son projet le plus grandiose, le projet
prométhéen de maîtrise de l'univers, d'une connaissance exhaustive - et que
c’est cela même qui le précipite vers sa disparition - bien plus vite que les
espèces animales, par l'accélération qu'elle imprime à une évoIution qui n'a
plus rien de naturel.
Et ceci non pas selon une quelconque pulsion de mort, une disposition
involutive, régressive, vers des formes indifférenciées, mais au contraire par
une impulsion d'aller le plus loin possible, dans I’expression de toute sa
puissance, de toutes ses facultés, jusqu'à rêver précisément d'abolir la mort.
(p. 13-14)
Auquel cas, nous et notre corps, nous ne serions plus que le membre fantôme,
le maillon faible, la maladie infantile d’un appareil technologique qui nous
domine de loin (comme la pensée ne serait que la maladie infantile de
l’Intelligence Artificielle ou l’être humain, la maladie infantile de la
machine, ou le réel la maladie infantile du virtuel).
L’ensemble reste encore enfermé dans une perspective évolutionniste qui conçoit
tout selon une trajectoire linéaire, de l’origine à la fin, de la cause à
l’effet, de la naissance à la mort, de l’apparition à la disparition.
Mais la disparition peut être conçue autrement, comme un événement singulier et
l’objet d’un désir spécifique, le désir de n’être plus là, qui n’est pas du
tout négatif, bien au contraire : ce peut être le désir de voir à quoi
ressemble le monde en notre absence (…), ou de voir au-delà de la fin, au-delà
du sujet, au-delà de toute signification, au-delà de l’horizon de la
disparition, s’il y a encore un événement du monde, une apparition
non-programmée des choses. (p. 15-16)
Jean Baudrillard, Pourquoi tout n’a-t-il pas déjà disparu ? (Texte inédit daté de janvier 2007) (L’Herne, 2007)
Commentaires
je souscrirais volontiers au début de la dernière phrase - à la seconde partie ? c'est moins sûr