la fugacité de leur vie
Par cgat le samedi 12 mai 2007, 00:13 - écrivains - Lien permanent
Stevens se promène. Dans la campagne anglaise, en Italie, il fait le grand
tour. Il traverse des lumières compactes, des légères. Des bois noirs, des
collines auréolées. Il regarde de quoi l'herbe est faite, l’épaisseur de
l'écorce sur le tronc des arbres, la ténuité des nuages. La figure humaine le
bouleverse quand il la rencontre. Elle lui fait l’effet d’un collage. D’une
pièce ajoutée, hétérogène, essentiellement disproportionnée.
Sauf là. À l'orée d'un bois. C'est une petite peinture qui tiendrait dans une
poche. Elle est verte. Vert sombre, vert d'herbe et de forêt, l'air est vert,
la nuit va tomber. Il fait frais. Un homme se penche sur une femme qui va se
lever. C'est tout. Stevens ne les connaît pas, ne les reconnaît pas, il ne les
situe pas. Il ne leur prête rien. Il les voit. Voit la terrible vigueur qui les
traverse et passe dans leur geste ; la fugacité de leur vie. Les arbres
sont flous, les personnages sont flous, leurs vêtements sont à peine posés sur
la toile, ils n'ont pas de visage mais ils se tiennent là, individuels,
intimes, dans la plus grande précision qui soit. Et ils s'entretiennent. Ils
s'adressent - l'un à l'autre.
Il ne sait d'où, une phrase lui traverse l'esprit qu'il répète à voix basse. Ne
pleurez pas monseigneur, Gauvain n'est pas perdu, vous aurez, vous aussi, le
droit de mourir et de le rejoindre.
Céline Minard, Le Dernier Monde (Denoël, 2007, p. 492-493)
(la visite du Louvre désert dans Paris désert sur une terre désertée par les hommes)