un bout de nerf à vif
Par cgat le vendredi 18 mai 2007, 00:04 - écrivains - Lien permanent
Il est tout le contraire d’une boule insensible au dehors, il est un
misérable bout de nerf perdu au milieu d'un dehors immense, et le dehors passe
son temps à venir le bouleverser. Il est un bout de nerf à vif que le moindre
coup de vent met sens dessus dessous, et bientôt il ne sera plus rien, s'il
continue il ne sera plus rien, parce que le dehors lui aura tout simplement
fait la peau.
Alors quoi. Alors il faut qu'il se secoue. Il faut qu'il s'armure. Il ne faut
surtout pas qu'il reste au lit à faire le bout de nerf à vif. Il faut qu'il
sorte. Il faut qu'il aille au contact du dehors. Il faut qu'il arrête d'avoir
comme ça la peau toute blanche et les bras tout malingres. Il faut qu'il aille
au soleil. Il faut que le soleil lui brûle la peau. Il faut que ses bras
forcissent. Il faut qu'il arrête de pédaler dans son mouron. Il faut qu'il tape
dans un ballon. Il faut qu'il mange du poisson. Il faut qu'il mange des
épinards. Il faut qu'il prenne soin de lui. Il faut qu'il se reprenne en main.
(p. 171-172)
Il faut qu'il se repose un bon coup. Il faut qu'il se fasse un bain de
concombre et de dodo. Il faut qu'il s'endorme dans un bon bain de concombre et
quand il se réveillera tout ira mieux, le concombre aura fait du bien à tout
son corps et il n'aura plus du tout le nez rouge. Il faut qu'il se savonne. Il
faut qu'il se coupe les ongles. Il faut qu'il arrange ses cheveux qui ne
ressemblent à rien. Il faut qu'il s'occupe de lui. Il faut qu'il se fasse beau.
Il faut qu'il passe beaucoup de temps à se faire très beau. Il faut qu'il soit
beau comme les femmes des publicités pour les masques de concombre. Il faut
qu'il passe devant les miroirs et qu'il ait tout à fait l'impression d'être une
femme de publicité. Il faut qu'il se dise est-ce possible, je suis une femme de
publicité, il ne me manque plus que le masque de concombre.
Il faut qu'il se fasse beau comme une femme des publicités à concombre et qu'il
sorte, qu'il aille au-devant du dehors avec beaucoup d'assurance, qu'il marche
dans la rue avec l'assurance d'une femme à concombre. Il faut qu'il se
précipite chez Ludwig déguisé en femme à concombre et qu'il voie la tête que
fait Ludwig. Ludwig est-ce que tu ne vois pas que je suis changé, est-ce que tu
ne devines pas ce que je suis. Et si Ludwig lui dit Hercule je rêve ou tu es
une femme à concombre ils seront tous les deux sciés, ils n'en reviendront pas,
ils iront boire un verre pour fêter ça.
Est-ce que Ludwig ne voudra pas lui aussi se changer en femme à concombre, sans
doute que si. Ils feront prendre un bon bain de concombre à Ludwig et Ludwig
aussi deviendra une femme à concombre, il se laissera savonner très longtemps
jusqu'à ce que sa peau soit douce comme celle d'une femme à concombre et alors
il sortira du bain, et lui dira à Ludwig mon vieux je crois bien que ça y est.
Ludwig se regardera dans la glace et il tombera par terre, putain ça y est
c'est vrai dira-t-il, je suis une femme à concombre, et tous les deux ils
seront fous, fous, ils courront chez Umberto et ils seront hystériques, ils
diront Umberto devine ce qu'on est, et Umberto dira vous êtes deux femmes à
concombre ou je rêve, ils tomberont dans les bras d'Umberto, tous les trois
seront hystériques, Umberto n'aura pas le choix, ils le transformeront illico
en femme à concombre et tous les trois seront des femmes à concombre, ils n'en
pourront plus, ce sera trop, ils courront boire un verre pour fêter ça, ils
seront hystériques de bonheur.
Il faut qu'il sorte. Il faut qu'il arrête de jouer les concombres de rivière.
Il faut qu'il perde sa peau de concombre de rivière et qu'il sorte. Il ne faut
plus qu'il ait peur du dehors. Qu'est-ce que le dehors, le dehors ça n'est
rien. Le dehors c'est du beurre. Le dehors ça ne doit pas du tout lui faire
peur, ça n'a pas la moindre raison de lui faire peur. C'est du beurre.
Il va s'enfoncer dans le dehors comme dans du beurre, il en rigolera. Il
rigolera un bon coup et il dira c'était donc ça. Le dehors c'était ça. C'était
ce beurre. Il fendra le dehors et il rigolera, il dira ça alors. Ça alors je
fends le dehors. Mon dedans fend le dehors. Je balade mon dedans au milieu du
dehors et tout va bien, tout baigne. Mon dedans n'est pas du tout ratatiné par
le dehors, au contraire mon dedans va bien, ça baigne pour mon dedans, mon
dedans fend le dehors. (p. 174-176)
Sylvain Prudhomme, Les matinées d’Hercule (Le Serpent à plumes, 2007)
Commentaires
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