Tandis que déferle la vague bleue annoncée, que d'aucun qualifie joliment de scélérate, un article de Jean-Claude Guillebaud, relégué en fin du supplément télé du Nouvel Obs, fait plaisir : on veut y croire !

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Ce qui nous protège désormais d'un réel asservissement des médias au pouvoir, c'est internet et son impertinence vitale.

Dans une récente livraison d'« Arrêt sur images » (le 27 mai), Dominique Jamet - démissionnaire de la direction de « France-Soir » - évoqua cet étrange phénomène qui se développe, selon lui, dans les médias : la peur. On parle évidemment de cette crainte diffuse qu'aurait fait naître dans les moindres recoins de l'appareil médiatique l'élection impériale de Nicolas Sarkozy. Un président dont on a dit et redit qu'en matière de médias, il avait le bras long. Quelques péripéties récentes ont d'ailleurs semblé confirmer cet étonnant besoin de « servitude volontaire », dénoncé jadis par La Boétie. Songeons à la piteuse autocensure de Jacques Espérandieu, directeur de la rédaction du « Journal du Dimanche », retoquant un article qui risquait de déplaire à Cécilia. Pensons à la suavité vaguement courtisane du « Figaro ». Observons les courbettes involontairement cocasses de l'ami Elkabbach sur Europe 1. Sans compter les frissons, les manœuvres obliques et les allégeances emberlificotées dont le paf dans son ensemble - et pas seulement TF1 - est le théâtre ces temps-ci.
Où qu'on porte le regard, c'est vrai, on discerne ces petits friselis de bonnes grâces et de compliments, ces rêves de Légion d'honneur ou d'Académie, ces minauderies obsessionnelles qui - en bien moins majestueux - rappellent les palinodies de Versailles, quotidiennement déployées, jadis, autour du monarque absolu. Aujourd'hui, ces ballets de cour nouvelle manière viennent opportunément nous rappeler que notre moderne République n'est jamais aussi républicaine qu'elle le croit. Un vieux fond de soumission y demeure, toujours prompt à refaire surface.
Médiatiquement parlant, pareille mousse d'obséquiosités n'est pas si éloignée de cette berlusconisation des esprits - et des médias - qui, on s'en souvient, avait un temps ensuqué nos voisins italiens. L'appareil médiatique français connaîtra-t-il globalement le même envasement ? Allons-nous entrer dans une de ces périodes où l'information, le commentaire, l'investigation se retrouvent domestiqués ? Les courtisans de tout poil vont-ils réussir à donner le ton ? À moyen terme, c'est peu probable. Dieu merci ! Ce qui nous protège cette fois d'une reddition générale - et la rend même impossible -, ce n'est pas tant la grandeur d'âme des chefs, petit, et grands, qu'une occurrence quasi technique : la présence, sur l'internet, d'une avant garde batailleuse qui, elle, ne s'en laissera pas conter. Je pense à ces mille et un sites d'informations de commentaire et d'enquêtes journalistiques qui fleurissent (ou reprennent du poil de la bête) depuis peu sur la Toile. De latelelibre.fr à agoravox.fr, rue89.com, desourcesure.com, rezo.net, acrimed.org, et bien d'autres, tous ces relais témoignent, avec des talents et une rigueur variables, d'un prurit d'impertinence, d'une curiosité enquêteuse, d'une indépendance d'esprit qui nous rassurent.
Quoi qu'on dise, quoi qu'on pense de leurs imperfections journalistiques, tous ces sites forment déjà un samizdat en ordre de marche, un « réseau parallèle » prêt à prendre la relève, si jamais le réseau principal venait à trop défaillir sur le plan de la liberté. Ils incarnent une sorte de garde permanente en même temps qu'une injonction discrète adressée aux médias officiels. Cette injonction leur dit à peu près ceci : si, peu à peu, vous cédez trop au conformisme et à cette molle servitude volontaire, alors vous perdrez progressivement vos lecteurs, vos auditeurs, vos téléspectateurs qui iront chercher ailleurs - chez nous ? - cet oxygène dont vivent les citoyens. Rien n'est joué. Prenons date.

Jean-Claude Guillebaud, « Gare à la servitude volontaire ! », Télé Obs, 2222, 9 au 15 juin 2007