de nuit sur ma ligne de jour
Par cgat le vendredi 10 août 2007, 00:36 - écrivains - Lien permanent
Mardi – On peut se laisser entraîner par la ligne de fuite, le bord extérieur du rail converti par les pointillés, la chaussée, longer le trottoir, bifurquer, sauter à pieds joints dans les stries, disparaître. Mais l’œil se lasse et retourne aux fenêtres, ne sait pas se contenter du ballast, des grilles et des voies à vélo. Il exige le clocher de l’hôpital, quelques ardoises fluides, le ciel large qu’il ne reverra pas de la journée.
(...)
Samedi soir - Métro La Chapelle, sur le quai. Expérience inédite, je sors du cinéma et me retrouve de nuit sur ma ligne de jour. À travers la verrière, en attendant la rame qui ne vient pas, je surprends les pièces éclairées dont je ne distingue rien le matin. Salon chatoyant, jouets, rideau jaune. Teintures au mur, ficus, tableaux. À ma gauche, la pointe illuminée du Sacré-Cœur. Devant moi, les arbres aux dents jaunes flashés par les spots. Nous attendons toujours. Et que suis-je allée voir pour la quatrième fois, délaissant les films de la rentrée qui pourtant me tentaient ? Fenêtre sur cour, sans blague, c'est maintenant que le lien se fait.
Dans le métro. Durant quelques secondes je n'y pense pas, je sors Penser/classer de Perec et je commence à lire, plaquée contre la porte vitrée. Puis je lève les yeux et les fenêtres du matin s'imposent, m'envoient par saccades, par bouffées, un halo orange, les ombres d'une persienne, la vision fugitive d'une bibliothèque - comme si les gens qui vivent le nez sur le métro ne lisaient pas ! Pourquoi derrière mes cent fenêtres personne ne lit-il jamais ?
Anne Savelli, Fenêtres : open space (Le Mot et le reste, 2007, p. 30 et p. 31)
Les premières pages avait été publiées en ligne dans remue.net, puis un livre a été publié ; cette belle tentative d’épuisement de ce qu’on voit depuis la ligne 2 du métro parisien se poursuit maintenant sur un blog qui propose par exemple des photos, et souhaite « créer des sortes de satellites autour du livre ».
On peut lire d’autres textes d'Anne Savelli (née en 1967 à Paris), dans la revue Ambition chocolatée et déconfiture et dans remue.net (« Centre du monde »), où l’on peut lire aussi un bel article de Sereine Berlottier.
Commentaires
merci j'avais lu le début, et j'avais aimé cette familiarité. M'en vais suivre
J'ai pris le métro quelques fois avec Anne Savelli.
Je ne découvre votre blog que ce soir qui renvoie fort gentiment au mien...
Vous savez avec bonheur prendre les choses avec esthétisme, sans fuir la ligne générale.
D.H.
merci de ce petit bonjour en passant : je ne suis pas tout à fait certaine de rechercher l'"esthétisme", mais votre formulation est jolie
j'aime beaucoup aussi le ton et la diversité de contenu de vos billets
Merci pour cette présentation de mon livre, que je ne découvre que maintenant. Et bonjour au passage à Dominique Hasselmann, voisin de quartier...
merci de passer par ici ... même si ce n'est pas sur la ligne 2
c'est la 6 que j'emprunte pour ma part quotidiennement mais je partage votre goût pour les fenêtres des autres vues depuis ses rames, aériennes aussi
Ah oui, la 6, qui clôt presque mon bouquin, et ses immeubles qui me semblent démesurés par rapport à ceux de la Goutte d'Or, minces et serrés les uns contre les autres... Je mettrai bientôt quelques fenêtres de Berlin sur mon blog (et m'en vais suivre le vôtre), ça changera!
A bientôt peut-être.