une belle et noble chimère
Par cgat le vendredi 31 août 2007, 01:27 - citations - Lien permanent
Me voici enfin parvenu au terme jusqu'auquel je m'étais proposé de conduire ces
Mémoires. Il n'y en peut avoir de bons que de parfaitement vrais, ni de vrais
qu'écrits par qui a vu et manié lui-même les choses qu'il écrit, ou qui les
tient de gens dignes de la plus grande foi, qui les ont vues et maniées ;
et de plus, il faut que celui qui écrit aime la vérité jusqu'à lui sacrifier
toutes choses. De ce dernier point, j'ose m'en rendre témoignage à moi-même, et
me persuader qu'aucun de tout ce qui m'a connu n'en disconviendrait. C'est même
cet amour de la vérité qui a le plus nui à ma fortune; je l'ai senti souvent,
mais j'ai préféré la vérité à tout, et je n'ai pu me ployer à aucun
déguisement ; je puis dire encore que je l'ai chérie jusque contre
moi-même. (…)
Reste à toucher l'impartialité, ce point si essentiel et tenu pour si difficile, je ne crains point de le dire, impossible à qui écrit ce qu'il a vu et manié. On est charmé des gens droits et vrais ; on est irrité contre les fripons dont les cours fourmillent ; on l'est encore plus contre ceux dont on a reçu du mal. Le stoïque est une belle et noble chimère. Je ne me pique donc pas d'impartialité, je le ferais vainement. On trouvera trop, dans ces Mémoires, que la louange et le blâme coulent de source à l'égard de ceux dont je suis affecté, et que l'un et l'autre est plus froid sur ceux qui me sont plus indifférents; mais néanmoins vif toujours pour la vertu, et contre les malhonnêtes gens, selon leur degré de vices ou de vertu. Toutefois, je me rendrai encore ce témoignage, et je me flatte que le tissu de ces Mémoires ne me le rendra pas moins, que j'ai été infiniment en garde contre mes affections et mes aversions, et encore plus contre celles-ci, pour ne parler des uns et des autres que la balance à la main, non seulement ne rien outrer, mais ne rien grossir, m'oublier, me défier de moi comme d'un ennemi, rendre une exacte justice, et faire surnager à tout la vérité la plus pure. C'est en cette manière que je puis assurer que j'ai été entièrement impartial, et je crois qu'il n'y a point d'autre manière de l'être. (…)
Dirai-je enfin un mot du style, de sa négligence, de répétitions trop prochaines des mêmes mots, quelquefois de synonymes trop multipliés, surtout de l'obscurité qui naît souvent de la longueur des phrases, peut-être de quelques répétitions ? J'ai senti ces défauts ; je n'ai pu les éviter, emporté toujours par la matière, et peu attentif à la manière de la rendre, sinon pour la bien expliquer. Je ne fus jamais un sujet académique, je n'ai pu me défaire d'écrire rapidement. De rendre mon style plus correct et plus agréable en le corrigeant, ce serait refondre tout l'ouvrage, et ce travail passerait mes forces, il courrait risque d'être ingrat. Pour bien corriger ce qu'on a écrit il faut savoir bien écrire ; on verra aisément ici que je n'ai pas dû m'en piquer. Je n'ai songé qu'à l'exactitude et à la vérité. J'ose dire que l'une et l'autre se trouvent étroitement dans mes Mémoires, qu'ils en sont la loi et l'âme, et que le style mérite en leur faveur une bénigne indulgence. Il en a d'autant plus besoin, que je ne puis le promettre meilleur pour la suite que je me propose.
Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon, Mémoires, 1723, tome 20, conclusion
Commentaires
perfide, perfide, le coup de talonnette dans le portrait
Etude comparative (de jambes) en projet ?
une chose. Le petit duc avec son style, qu'il devait savoir superbe à sa façon, sa mauvaise foi, ses aide-mémoire (Dangeau) a écrit à postériori.
C'est une recréation. Pour les talonnettes actuelles et la faune qui l'entoure il faudra attendre
"je n'ai pu me défaire d'écrire rapidement"
qu'il dise cela après 19 ans d'écriture en continu m'a toujours paru un sommet absolu
autre illustration : dans le catalogue "brouillons d'écrivain" de la BNF, la page où il interrompt le manuscrit d'une ligne de larmes, au décès de son épouse
hier soir au Virgin Montparnasse ai ouvert le YR au hasard, suis tombé sur le passage "les bretons sont des cons", bon, je crois que j'attends un peu pour lecture
PS : St Simon numérique est mon + gros fichier Word : 17 Mo !, mais quels trésors pour la fonction recherche
en cherchant dans mes tablettes numériques une image à associer à Saint-Simon, il m'a semblé que ce détail du portrait de Hyacinthe Rigaud s'imposait après le billet d'hier : pas (seulement) pour les talonnettes, mais aussi pour les jambes (Yasmina Reza ne cesse de les décrire s'agitant sous la table), et surtout la pose maniériste et la mise en scène !.. même si aujourd'hui la mise en scène est autre : http://blog.lignesdefuite.fr/post/2...
Nous avons voté pour votre blog dans le cadre du blogday.(cf le blog des éditions)
Les Éditions Léo Scheer
Les gambettes ridicules peintes par le servile Hyacinthe Rigaud ? S'il y a l'écrivaine officielle, qui est le peintre officiel du monarche du moment ? Philippe Warrin, celui de la photo officielle ? Pourquoi pas. Il y est présenté de façon tout aussi ridicule que Louis XIV avec ses fanfreluches, et il y paraît tout aussi inquiétant.
désolée, F, votre commentaire était resté bloqué dans mon filtre à spam, pour une raison qui m'échappe ...
c'est à la suite de vos commentaires à tous sur St Simon que je me suis souvenue avoir lu ce passage sur l'impartialité que je suis allée chercher en ligne ... mais c'est vrai qu'un fichier unique doit être plus pratique pour les recherches !
Caroline, la photo de Warrin manque un peu de fanfreluches, mais vous n'avez pas tort !