le livre est contagieux
Par cgat le mercredi 2 janvier 2008, 01:16 - citations - Lien permanent
Un calcul, même très approximatif, du nombre d'heures dont nous avons disposé au cours de notre vie pour la lecture, nous prouve que nous avons en réalité lu sensiblement moins de livres que nous ne le croyons. Nous n'avons pas eu le temps matériel de lire tous les livres que nous pensons avoir lus.
Mais les livres que nous avons lus sont bien loin d'être les seuls éléments de notre culture livresque. Comptent aussi, parfois presque autant, ceux dont nous avons entendu parler, d'une manière qui nous a fait dresser l'oreille (l'oreille interne), ceux dont un passage cité ailleurs isolément a éveillé en nous des échos précis, ou dont la mitoyenneté avec des ouvrages déjà connus de nous a permis au moins l'étiquetage. Ceux dont nous ne connaissons guère que le titre et le sens général, mais qui, dessinés en creux par les frontières des livres connexes, figurent pourtant, dans notre répertoire livresque, comme références utilisables.
Cette culture accrue par enjambements, par recoupements et par contamination, est peut-être la vraie culture livresque. Le livre est contagieux. La masse des livres déjà connus confère une demi-réalité maniable aux livres non lus encore qu'elle cerne et fait pressentir. Ainsi, à partir d'un certain acquis, la culture livresque, alors que la lecture ne suit qu'une progression arithmétique, peut se développer de manière presque exponentielle par une méthode qui n'est pas sans analogie avec la solution d'un puzzle, et que les polyglottes expérimentent tous pratiquement pour l'acquisition de nouvelles langues. Pour s'enrichir pleinement par la lecture, il ne suffit pas de lire, il faut savoir s'introduire dans la société des livres, qui nous font alors profiter de toutes leurs relations, et nous présentent à elles de proche en proche à l'infini. Une preuve a contrario en est fournie par l'autodidacte de La Nausée.Julien Gracq, Carnets du grand chemin (Corti, 1992, p. 262-264, Gallimard, Pléiade, 2, 1995, p. 1086)
Commentaires
j'aime cette société des livres, et cela joue même pour moi qui n'y suis pas rentrée, parce que cela qui est cité je ne sais plus très bien si je l'ai ou non déjà lu
que le grand clic et la maitresse des lieux me pardonne
votre enthousiasme à envoyer est tout pardonné, brigetoun ... par moi en tout cas, pour le grand clic je ne sais pas !
Un défi : un extrait de Gracq chaque jour, cette année sur votre blog !
Je plaisante, mais de temps en temps, alors...
pour le moment je m'arrête là, mais de temps en temps il y en aura d'autres ...
À rapprocher du dernier livre de Pierre Bayard, "Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ?" (Minuit, 2007) — mais attention à ce que la non-lecture ne devienne pas un simple vernis de culture... (Je suis bien sûr que ce n'est pas ce que tu défends, ni ce à quoi Gracq pensait ; seuls les imbéciles confondront...)
je me suis demandé aussi si ce passage avait inspiré Bayard, que je n'ai pas encore lu (bien fait pour lui!) même s'il est sur une de mes étagères depuis plusieurs mois
et toi, est-ce ce que tu l'as lu et te souviens s'il cite ce texte de Gracq ?
en tout cas ce n'est absolument pas du "vernis de culture" qu'il s'agit là ; plutôt des relations ou des liens - pas encore réticulaires - entre les livres et leurs lecteurs