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Les vaches aimaient la pluie. Elles auraient pu facilement aimer autre chose comme nous : l'esprit, la méthode, la puissance. Mais c'est l'eau du ciel finalement qu'elles aimaient. (p. 8)

Les vaches ont des robes pleines de ronces et de fleurs et de poudre des champs. Elles ne savent rien de l'exception de la vie terrestre sous les étoiles. Rien de l'exception de notre vie banale dans l'univers féroce toujours plein de notre cruelle errance avec dans la prairie tant de victoires perdues.
Comment expliquer l'impression qu'elles donnent d'être traversées par la vie même ? d'avoir une puissance identique à la vie ? Cette vie nue dans les champs. Cette vie sans propriétés. Ce corps immense et lourd et patient des vaches. (p. 9)

Les vaches ne lisent pas dans nos cœurs. Elles ne nous comprennent pas mieux que nous-mêmes. Jamais elles ne demandent notre reconnaissance ni notre gratitude ni notre haine comme nous le demandons à nous-mêmes. Et jamais nous ne les avons contemplées dans leur vérité. (p. 13-14)

Les personnes humaines trouvent aujourd'hui que les vaches n'ont plus figure humaine. Elles n'ont laissé derrière elles ni maîtres à penser ni histoires déchirantes ni métaphores sanglantes. (p. 15)

Les vaches n’avaient rien à maudire, n’avaient aucun regret d’innombrables survivances d’anciens mondes mal disparus. Ni de terre lointaine à conquérir ni d’océan à traverser.
Les vaches n’ont jamais dominé rien ni personne. (p. 19)

La mémoire des vaches n’a pas de profondeur. Elle est plate et douce et répétitive comme un très vieux chant. Elle contient des choses inoubliables et semblables à jamais. (p. 20-21)

Les vaches n'ont jamais eu besoin de notre vieille métaphysique s'embarrassant du caractère inéluctable et nécessaire de la mort.
Les vaches n'ont aucune superstition. Ni bonheur ni amour. Éternellement temporelles. Elles ignorent l'amnésie du repos. Leur existence même n'étant qu'un long repos actif dans les prés et les champs. (p. 29)

Frédéric Boyer, Vaches (POL, 2008)

Ce tout petit livre fait de courtes phrases hiératiques, énigmatiques, ironiques parfois, qui rappelle l’Ecclésiaste et reprend d’anciennes disputes sur la question de la grâce et du libre arbitre, est comme le contrepoint de la nouvelle traduction des Confessions de Saint Augustin que publie aussi Frédéric Boyer sous le titre Les aveux (POL, 2008).