jouissance du point-virgule
Par cgat le lundi 25 février 2008, 00:31 - écrivains - Lien permanent
Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir ; puis, se tournant vers le maître d'études
C'est plus fort que moi, je répète : de nous rasseoir ; puis, se tournant vers le maître d'études
Et voilà que la simple conscience de ce point-virgule arrivant après ce « rasseoir » auquel j'aspirais de toutes mes faiblesses, voilà que ce point-virgule, ce point-là sur cette virgule-là, cette tête-ci sur ce corps-ci qui se courbe pour mieux tomber, voilà que ma dernière volonté m'hameçonne et me tire hors de l'eau d'oubli.
Je connais la suite. Comme si je l'avais déglutie et digérée, recrachée, cachée, puis oubliée. Le Proviseur va s'adresser à Monsieur Roger, à demi-voix - pas en murmurant, ou en baissant le ton, ou en détachant les syllabes, non : à demi-voix - et lui présenter l'élève qu'il vient d'introduire dans la salle de classe, mais aussi dans le Livre, mais aussi : dans ma tête. (p. 20)(...) une torpeur la prenait, elle s'arrêta, c'est magnifique, l'imparfait la fait chavirer et le passé simple la fige, un vertige vous secoue, ça peut durer, ça pourrait durer, ça ne dure pas, le clou l'emporte sur le bois, la pointe sur la fibre. Ils repartirent ; et ce point-virgule est un coup de faux dans le fil du temps ; et, non mais admirez un peu la souplesse de la virgule, d'un mouvement plus rapide, re-virgule, le vicomte, tiens, prends cette virgule et enivre-toi avec, l'entraînant, encore une virgule pour retarder la jouissance on ne sait jamais, disparut avec elle jusqu'au bout de la galerie, la virgule alors comme un doigt sur l'ombre du clitoris, où, si ce n'est un cri qu'est-ce, haletante, encore un peu juste un peu, elle faillit tomber, virgule-hameçon où la bouche extasiée se laisse accrocher et suspendre, et, tout ne tient plus qu'à un fil, un instant, vaste comme un lit, s'appuya la tête sur sa poitrine et là j'aide tout ce beau monde à mettre un point qui ne saurait être final, parce que la jouissance, même reconduite à son huis lointain, derrière les yeux, sous la peau, ne pense plus qu'à ça, n'a plus qu'un seul impératif en tête et au con, et c'est, comme disait Estée : le refaire. (p. 75)
Claro, Madman Bovary (Verticales, 2007)
Commentaires
jouissif
J'avais plaidé, le 8/05/2006, pour la sauvegarde du point-virgule en ces termes:
La ballade du point-virgule.
O funeste sort, qu’as-tu fait, pauvre ami,
Contre les écrivains, pour sombrer dans l’oubli ?
Faut-il que soit passé le temps de tout’ nuance
Pour que soit enterré celui qui fut, en France,
Le flambeau de Corneille et de La Boëtie,
De Ronsard, de Boileau, et tant d’autres ici ?
A toi je veux tresser les lauriers de la gloire,
De ta disparition, fai-re toute une histoire,
Afin que dans les siècles, à jamais on célèbre
Celui qui fut occis par une main funèbre.
Générant la rupture sur qui l’on s’interroge,
Son couple élégant apporte et s’arroge
Le désir de poursuite que, trop frêle, on obère,
Pas pour continuer, seulement pour se distraire.
Ne nous enfermons pas, de grâce, derrière une porte !
Qu’adviendra-t-il de nous, justifiant de la sorte
Ceux qui, fruits de l’hymen de l’Ève hypothétique,
Unie à Jupiter, tirent une gloire chimérique,
Et traitent de moins que rien et de menu fretin
Tous ceux dont l’existence n’est pas leur gagne-pain.
D’un être abandonné, ne scellons point le sort,
Vous verrez assez tôt comme ce vieillard en sort,
Loin d’être pour vous d’une gêne outrancière,
Surgissant du néant, comme on sort de la bière,
Il pointera son nez, exigence absolue,
A l’instant où, distraite, vous ne l’attendrez plus
Ne heurtons pas de front, nouvelle hérésie,
Camouflet inutile à tous ceux qui le prient
Ceux qui, en ses vertus, ont une foi absolue.
Ce cri du cœur pour lui, je pousse vers les nues.
Amis de l’Atelier, je vous demande ainsi
De garder en réserve, lui qui a tant servi,
Celui qui, du possible maintient le champ ouvert,
Un rien, un petit signe typo supplémentaire…
Claude DANIS, le 8/05/2006
dans
http://www.super-daddy.com/AtelierEcriture/AE_la_ballade_du_point_virgule.htm#ballade
Avec une discussion et des commentaires...
Pour abonder en ce sens, je proposais que tous les point-virgulophiles adoptent CE LOGO (;-)) dans leur signature, au lieu du (:-)) qui n'a, on doit l'avouer, aucun caractère...
Ainsi, notre héros retrouverait-il un usage universel.
(;-)) (;-)) (;-))