procession ascendante
Par cgat le lundi 31 mars 2008, 02:19 - citations - Lien permanent
Au-dessus de la balustrade entourant la bouche du métro apparaît la tête d'une femme aux cheveux grisonnants s'élevant d'un mouvement continu et oblique, puis ses épaules revêtues d'un imperméable gris-bleu Elle trébuche légèrement quand elle abandonne la dernière marche puis reprend son équilibre et s'éloigne marchant d'un pas vif malgré son âge Au bout de son bras pend un cabas marron Immobiles d'abord, entraînés par le même mouvement ascensionnel et continu qui semble les ramener du sein de la terre, puis prenant pied sur le trottoir et s'éloignant dans différentes directions apparaissent successivement à sa suite :
1 homme chauve aux mèches de cheveux clairsemées ramenées sur son crâne et collées au cosmétique, vêtu d'un complet bleu, avec une cravate bordeaux rayée en oblique ton sur ton, marchant de façon décidée à grands pas, 1 jeune femme en robe bleu foncé bras nus portant son enfant vêtu de bleu clair sur le bras droit dont la main tient l'anse d'un seau à pâtés orange une petite pelle et un petit râteau rouge et jaune dépassant du seau, 1 jeune homme à lunettes aux cheveux ondulés veste marron pantalon gris chaussures de daim gris également s'éloignant les deux coudes collés au corps les avant-bras horizontaux les mains se rejoignant un papier ou quoi entre elles lettre ? Les bustes de plus en plus serrés maintenant sans doute le gros des voyageurs de la rame un sur chaque marche probablement les têtes surgissant l'une après l'autre sans interruption deux religieuses un soldat une dame à chapeau rose de nouveau un chauve un nègre un homme au visage tout ridé jaunâtre une jeune fille tête nue une autre jeune fille tête nue le képi d'un agent une
Si on regarde fixement la fenêtre pendant assez longtemps on dirait qu'elle se déplace dérive lentement dans le ciel simple rectangle partagé en deux traversé de nuages. Maisons qui semblent basculer vous tomber lentement dessus sans fin
dame âgée au chapeau de paille noire avec un nœud violet type avec un nez comme un bec type avec une casquette à petits carreaux une jeune femme blonde très fardée, le contraste entre l'immobilité des personnages et le lent mouvement d'ascension leur conférant une sorte d'irréalité macabre comme sur cette image du livre de catéchisme où l'on pouvait voir une longue procession ascendante de personnages immobiles figés les uns simplement debout d'autres une jambe repliée un pied un peu plus haut que l'autre comme reposant sur une marche l'escalier constitué par les volutes d'un nuage s'étirant s'élevant en plan incliné des vieillards appuyés sur des cannes des enfants je me rappelle une femme drapée dans une sorte de péplum enveloppant d'un de ses bras les épaules d'un jeune garçon bouclé sur lequel elle se penchait l'autre bras levé montrant d'une (dessin de main) à l'index tendu là-haut la Gloire et les Nuées et derrière eux il en venait toujours d'autres montant vers Sa lumière tous suivant la direction indiquée par cette main impérieuse comme celles (ou quelquefois seulement une (dessin de flèche) ) qui sur les parois émaillées indiquent HOMMES ou DAMES dans l'odeur ammoniacale d'urine et de désinfectant le silence souterrain ponctué à intervalles réguliers par les bruits des chasses d'eau à déclenchement automatique tous à la queue leu leu errant dans les corridors compliqués de ce comment appelle-t-on l'endroit où vont les petits enfants morts avant d'avoir été baptisés ? aux étincelantes voûtes de céramique blanche jusqu'à ce qu'Il les appelle enfin à lui s'élevant alors en longues théories de complets vestons et de robes désuètes chantant Sa gloire arrachés sauvés du sein de la terre les yeux clignotant dans la lumière retrouvée tous les âges et toutes les professions mêlés 1 jeune femme 1 jeune homme à lunettes 1 ménagère 2 écoliers 1 long type maigre 1 couple 2 ouvriers l'un portant un veston marron fatigué sur des blue-jeans l'autre une salopette beige...
Claude Simon, La Bataille de Pharsale (Minuit, 1969, p. 14-16)
référent (n'en déplaise à Jean Ricardou !) : la sortie Place Monge, photographiée par Michel Bernard, en illustration de son article sur « l'hypotypose de la Place Monge » (1999)
Commentaires
plaisir de la retrouver la femme sortant du métro,.. et la suite
J'ai horreur de ces photos où l'on masque la figure des gens pour des raisons de "droit à l'image" : on peut toujours s'arranger pour trouver un autre angle de prise de vue.
Ou il suffit d'attendre qu'il n'y ait personne...
Ici on se croirait dans un reportage de TF1, style "Le droit de savoir" (alors que, justement, on n'en sait rien).
la photo était purement documentaire et sans prétention artistique
Autant utiliser alors une carte postale de la place.
l'idée était de montrer l'escalator qu'évoque Simon (qui vivait là) : les cartes postales montrent en général la place Monge sous un autre jour plus touristique et "vieux paris"