le cyberpunk est devenu rétro
Par cgat le dimanche 11 mai 2008, 01:02 - science-fiction - Lien permanent
Pour en finir (temporairement) avec William Gibson, la sortie de Code
source a aussi été l’occasion d’une série d’entretiens dans lesquels
William Gibson évoque de manière assez iconoclaste la façon dont il envisage
aujourd’hui la « science-fiction » et le mouvement « cyberpunk »
dont il fut jadis la tête de file.
dans « Mon challenge naturaliste », un entretien avec Frédérique
Roussel (Libération, 20 mars 2008) accompagné d'un entretien vidéo
:
Dans un monde technologique totalement ubiquitaire, que signifie cyberpunk ? Que signifie cyber ? Au XIXe siècle, quand l’électricité venait de faire son apparition, tout était électro, électro-ci, électro-là. C’était comme un préfixe à la mode. Cyberpunk, ou plutôt cyber, était dans le vent à la fin du XXe siècle. Mais on n’achète pas aujourd’hui un cyberordinateur ou un cyberiPhone. Le cyberpunk fait simplement partie du passé. Il est devenu rétro.
dans un dossier de Chronic’Art, 43, mars 2008 (qui n’est pas en ligne, malheureusement) :
La science-fiction correspond certes à ma culture littéraire initiale. Mais m’en tenir à cela équivaudrait à rester cloîtré toute ma vie dans un petit bled paumé des États-Unis ; je ne peux plus me contenter de vivre dans cette ville… (…)
Quoi qu’il en soit, je ne m’intéresse pas du tout à ces classifications marketing qui ne servent qu’à rassurer le lecteur en lui faisant la promesse de s’y retrouver dans un genre qui lui est a priori familier. D’ailleurs si Code source était facilement classable, je serai un peu triste.
dans un long entretien pour Actu SF accompagné d'un article d'Eric Holstein :
C’est assez facile, dans la mesure où le tour a déjà été effectué, et qui plus est sur nous tous. Si le livre à quelque chose à dire à propos du cyberspace, c’est bien que le cyberspace a colonisé notre quotidien et qu’il continue de le coloniser. Ce n’est plus « l’autre endroit ». Quand j’ai commencé d’écrire, le cyberspace était « l’autre endroit ». Mais aujourd’hui, nous sommes, en quelque sorte, plongés dans le cyberspace, et « l’autre endroit » c’est l’absence de connectivité. C’est là où il n’y a pas de réseau WiFi ou là où les mobiles ne passent pas. (…)
La science fiction des années 40 est assemblée avec des morceaux des années 40. Ça nous saute immédiatement aux yeux. Et la première chose que se dirait un gamin de douze ans qui lirait Neuromancien aujourd’hui, c’est « Whaaa... c’est un monde sans téléphones mobiles ! Il a dû se passer quelque chose ! ». C’est quelque chose que j’ai toujours su, et je pense que ça s’est fait jour progressivement tout au long de mon travail, jusqu’à devenir de plus en évident. Je pense que je n’ai toujours dit qu’une seule chose : « C’est votre futur ; mais votre futur c’est maintenant ! » (…)
Aux États-Unis dans les années 60, les gens qui voulait rendre la science fiction un peu plus digne, l’appelaient « la fiction spéculative ». Je souviens m’être dit à l’époque, que toute fiction est nécessairement spéculative. Et peut-être que toute vision est visionnaire. Ça dépend surtout de qui à la vision. (…)
Mais depuis, qu’est ce qu’il s’est passé en Amérique du Nord ? Toute la vieille garde académique a disparu, et a été remplacée par une tendance post-moderne qui intègre parfaitement l’idée de genre, et s’amuse à brouiller les cartes. Nous ne sommes plus dans la vieille posture : « C’est de la littérature, ou ce n’est rien ! ». Alors c’est quelque chose que je ressens encore ici, mais bien moins qu’il y a vingt ans. C’est aussi quelque chose que j’ai ressenti en Allemagne, mais bien moins qu’il y a vingt ans. Je crois que c’est une tendance très européenne que de se boucher le nez sur toute une partie de la science fiction, sur laquelle, par ailleurs, je me bouche moi-même souvent le nez (rires). (…)
le corps central de la science fiction reste aujourd’hui, du moins à mon sens, déconnecté de l’expérience du réel. la science fiction que j’aurais envie de lire, et que je suis presque incapable de trouver, est une science fiction qui n’aurait pas pu être écrite il y a dix ans. Ça serait la forme la plus viable de science fiction, et surtout la science fiction dont nous avons besoin aujourd’hui. Or la majorité de la science fiction qu’on lit maintenant aurait aussi bien pu être écrite il y a vingt ans. Ou trente. Ou même quarante. Et pratiquement toute la fantasy qu’on trouve maintenant aurait pu avoir été écrite dans les années cinquante.
voir aussi :
- la présentation « live » de Second Life
- un autre entretien vidéo (en anglais)
Commentaires
A propos du "Magazine littéraire", la révolution copernicienne est donc en marche : vous êtes dans leur "blogroll" (félicitations !), j'ignore s'ils sont dans la vôtre !
Et s'agissant du cyberspace, ci-après un lien qui montre comment il est enfin possible de détecter que l'on se promène bien dedans :
http://www.thinkgeek.com/tshirts/il...
Sur les enjeux de la SF, on peut aussi relire le texte de Baudrillard Simulacres et Science-fiction (in Simulacres et simulation), publié il y a plus de 20 ans (1985!).
"La projection, l’extrapolation, cette sorte de démesure pantographique qui faisait le charme de la science-fiction sont impossibles. Il n’est plus possible de partir du réel et de fabriquer de l’irréel, de l’imaginaire à partir des données du réel. Le processus sera plutôt inverse : ce sera de mettre en place des situations décentrées, des modèles de simulation et de s’ingénier à leur donner les couleurs du réel comme fiction, précisément parce qu’il a disparu de notre vie." ETC... Tout le chapitre mériterait d'etre cité...
il faudrait que je le relise ... mais, si je me souviens bien, je n'avais pas été très convaincue par ma première lecture : il m'avait donné l'impression que Baudrillard ne connaissait pas grand chose de la SF et en parlait de manière très abstraite
A ce sujet (merci pour cet article, au fait), je trouve la dernière citation de Gibson un tantinet imprécise, pour ne pas dire fumeuse. Qu'est-ce qu'une SF ou une fantasy "écrite il y a vingt/quarante/cinquante ans" qui "aurait pu être écrite dix ans plus tôt" ?
En outre, il me semble sévère avec lui-même : la radicalité du cyberpunk, c'est son articulation entre la chair, le biologique, et la machine, bien plus que les performances d'un quelconque ordinateur. Il me semble qu'en 2008 nous sommes en plein dedans...ou en tous cas, que nous n'en sommes pas loin.
concernant le cyberpunk, il y a en effet un peu de coquetterie de la part de Gibson, et son propos concerne surtout le terme, ou plus exactement le préfixe cyber-, qui a en effet un côté désuet
en revanche ce qu'il dit sur la sf et la fantasy (que je connais très peu mais qui ne me semble pas être de la sf) me semble très juste : la sf que « j’aurais envie de lire », comme il le dit fort justement, n’aurait pas pu être écrite il y a dix ans car elle serait une spéculation à partir de ce qu’est la science, de ce que sont les technologies d’aujourd’hui, qui me permettrait de penser le futur, et de réfléchir le présent
elle est assez rare, mais pas inexistante : outre Gibson lui-même, je citerais par exemple, parmi ceux que j’aime lire, Greg Egan, Robert Charles Wilson, Iain Banks, Ayerdhal, Catherine Dufour, Roland C. Wagner, Greg Bear, Nancy Kress, Dan Simmons, Dantec, James Flint, David Calvo, Vernor Vinge, Dick bien sûr, à son époque et encore pour la notre, et sans doute d’autres que je ne connais pas (si vous avez des suggestions de lecture, je prends !)