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Pour en finir (temporairement) avec William Gibson, la sortie de Code source a aussi été l’occasion d’une série d’entretiens dans lesquels William Gibson évoque de manière assez iconoclaste la façon dont il envisage aujourd’hui la « science-fiction » et le mouvement « cyberpunk » dont il fut jadis la tête de file.

dans « Mon challenge naturaliste », un entretien avec Frédérique Roussel (Libération, 20 mars 2008) accompagné d'un entretien vidéo :

Dans un monde technologique totalement ubiquitaire, que signifie cyberpunk ? Que signifie cyber ? Au XIXe siècle, quand l’électricité venait de faire son apparition, tout était électro, électro-ci, électro-là. C’était comme un préfixe à la mode. Cyberpunk, ou plutôt cyber, était dans le vent à la fin du XXe siècle. Mais on n’achète pas aujourd’hui un cyberordinateur ou un cyberiPhone. Le cyberpunk fait simplement partie du passé. Il est devenu rétro.

dans un dossier de Chronic’Art, 43, mars 2008 (qui n’est pas en ligne, malheureusement) :

La science-fiction correspond certes à ma culture littéraire initiale. Mais m’en tenir à cela équivaudrait à rester cloîtré toute ma vie dans un petit bled paumé des États-Unis ; je ne peux plus me contenter de vivre dans cette ville… (…)
Quoi qu’il en soit, je ne m’intéresse pas du tout à ces classifications marketing qui ne servent qu’à rassurer le lecteur en lui faisant la promesse de s’y retrouver dans un genre qui lui est a priori familier. D’ailleurs si Code source était facilement classable, je serai un peu triste.

dans un long entretien pour Actu SF accompagné d'un article d'Eric Holstein :

C’est assez facile, dans la mesure où le tour a déjà été effectué, et qui plus est sur nous tous. Si le livre à quelque chose à dire à propos du cyberspace, c’est bien que le cyberspace a colonisé notre quotidien et qu’il continue de le coloniser. Ce n’est plus « l’autre endroit ». Quand j’ai commencé d’écrire, le cyberspace était « l’autre endroit ». Mais aujourd’hui, nous sommes, en quelque sorte, plongés dans le cyberspace, et « l’autre endroit » c’est l’absence de connectivité. C’est là où il n’y a pas de réseau WiFi ou là où les mobiles ne passent pas. (…)
La science fiction des années 40 est assemblée avec des morceaux des années 40. Ça nous saute immédiatement aux yeux. Et la première chose que se dirait un gamin de douze ans qui lirait Neuromancien aujourd’hui, c’est « Whaaa... c’est un monde sans téléphones mobiles ! Il a dû se passer quelque chose ! ». C’est quelque chose que j’ai toujours su, et je pense que ça s’est fait jour progressivement tout au long de mon travail, jusqu’à devenir de plus en évident. Je pense que je n’ai toujours dit qu’une seule chose : « C’est votre futur ; mais votre futur c’est maintenant ! » (…)
Aux États-Unis dans les années 60, les gens qui voulait rendre la science fiction un peu plus digne, l’appelaient « la fiction spéculative ». Je souviens m’être dit à l’époque, que toute fiction est nécessairement spéculative. Et peut-être que toute vision est visionnaire. Ça dépend surtout de qui à la vision. (…)
Mais depuis, qu’est ce qu’il s’est passé en Amérique du Nord ? Toute la vieille garde académique a disparu, et a été remplacée par une tendance post-moderne qui intègre parfaitement l’idée de genre, et s’amuse à brouiller les cartes. Nous ne sommes plus dans la vieille posture : « C’est de la littérature, ou ce n’est rien ! ». Alors c’est quelque chose que je ressens encore ici, mais bien moins qu’il y a vingt ans. C’est aussi quelque chose que j’ai ressenti en Allemagne, mais bien moins qu’il y a vingt ans. Je crois que c’est une tendance très européenne que de se boucher le nez sur toute une partie de la science fiction, sur laquelle, par ailleurs, je me bouche moi-même souvent le nez (rires). (…)
le corps central de la science fiction reste aujourd’hui, du moins à mon sens, déconnecté de l’expérience du réel. la science fiction que j’aurais envie de lire, et que je suis presque incapable de trouver, est une science fiction qui n’aurait pas pu être écrite il y a dix ans. Ça serait la forme la plus viable de science fiction, et surtout la science fiction dont nous avons besoin aujourd’hui. Or la majorité de la science fiction qu’on lit maintenant aurait aussi bien pu être écrite il y a vingt ans. Ou trente. Ou même quarante. Et pratiquement toute la fantasy qu’on trouve maintenant aurait pu avoir été écrite dans les années cinquante.

voir aussi :
- la présentation « live » de Second Life
- un autre entretien vidéo (en anglais)