adhérer par le déphasage
Par cgat le lundi 27 octobre 2008, 01:17 - citations - Lien permanent
Celui qui appartient véritablement à son temps, le vrai contemporain, est celui qui ne coïncide pas parfaitement avec lui ni n’adhère à ses prétentions, et se définit, en ce sens, comme inactuel ; mais précisément pour cette raison, précisément par cet écart et cet anachronisme, il est plus apte que les autres à percevoir et à saisir son temps.
Cette non-coïncidence, cette dyschronie, ne signifient naturellement pas que le contemporain vit dans un autre temps, ni qu'il soit un nostalgique qui se reconnaît mieux dans l'Athènes de Périclès ou le Paris de Robespierre ou du marquis de Sade que dans la ville ou dans le temps où il lui a été donné de vivre. Un homme intelligent peut haïr son époque, mais il sait en tout cas qu'il lui appartient irrévocablement. Il sait qu'il ne peut pas lui échapper.
La contemporanéité est donc une singulière relation avec son propre temps, auquel on adhère tout en prenant ses distances ; elle est très précisément la relation au temps qui adhère à lui par le déphasage et l'anachronisme. Ceux qui coïncident trop pleinement avec l'époque, qui conviennent parfaitement avec elle sur tous les points, ne sont pas des contemporains parce que, pour ces raisons mêmes, ils n'arrivent pas à la voir. Ils ne peuvent pas fixer le regard qu'ils portent sur elle.
Giorgio Agamben, Qu'est-ce que le contemporain ? (Rivages Poche, Petite Bibliothèque, 2008, p. 9-11)
Commentaires
grande lecture, monsieur Agamben, et permanente
Merci, Christine, pour cet extrait.
Pour ma part, je dirai, en prolongeant la pensée de Giorgio, que "Ceux qui coïncident trop pleinement avec l'époque" sont des contemporains qui ne sont pas... temporains.
Très drôle, Berlol...
Et encore une belle lecture en perspective. Les livres s'entassent sur mon bureau, mes chaises, ma table de nuit, sous mon lit, sur la gazinière, dans l'entrée, au petit coin, au secours, cela devient dramatique ! Merci Lignes de fuite ;-)
Sur la gazinière ! C'est assez dangereux ! Donnez votre adresse, qu'on fasse surveiller...
... comme disait Fucius, qui avait oublié d'être con (disait Desproges) :
mais Berlol a raison, soyez prudente Nadine !