si un roman est capable de tuer
Par cgat le samedi 31 janvier 2009, 01:31 - écrivains - Lien permanent
Je lis à Théophile une page de mon carnet.
Liste des raisons pour lesquelles je dois tuer ma grand-mère en écrivant un livre (extraits) :
- Elle m'a raconté des histoires, à moi de la raconter, elle.
- Ma grand-mère ne me considère pas comme une écrivaine, mais comme une paumée publiée. Je dois lui démontrer qu'elle a tort, en faisant un roman qui lui charcute le cœur.
- Il n'existe pas de pilules contre la grand-mère, pourtant les symptômes persistent. Il faut donc trouver une thérapie adaptée, qui mêle revanche et guérison. À noter que les psychotiques ne peuvent suivre d'analyse, et qu'il est très urgent de trouver une solution.
- Ceux qui ont des univers sains et ouverts, leurs livres sont moches et débiles. Christine Angot, L'Usage de la vie.
- Ma grand-mère n'aime pas les animaux domestiques, les hommes encore verts à leur âge, le vernis à ongles noir, les surprises, que je me fasse remarquer, les orages, lire autre chose que Télé 7jours, le bruit de chaînes que font parfois les esprits sur le plancher, la viande trop cuite, le groupe Indochine, qu'on fasse une belle réputation à la famille dans le quartier, que les gens pensent que Mamie est méchante, passe sa vie à se faire les ongles et n'a jamais aimé qu'elle-même. Les faits + ma haine = une bonne matière romanesque. N.B.: reprendre ce paragraphe intact, calculer le nombre de signes. Conclure qu'en moins de cinq cents la vieille peut trépasser.
- La littérature est devenue le territoire du commerce et du divertissement. Rappeler qu'elle est, et avant tout, une arme semble nécessaire en ce moment.
- Personne ne prend au sérieux la littérature. Si un roman est capable de tuer, ne serait-ce qu'une vieille dame, l'État va investir, les budgets du ministère de la Culture et du Centre national du livre vont notablement augmenter, soutenant ainsi de nombreux poètes schizophrènes et écrivains non salariés, ce qui peut donc sauver le monde.
Chloé Delaume, Dans ma maison sous terre (Seuil, Fiction & Cie, 2009, p. 116-118)
Et voilà comment l'autofiction peut sauver le monde !
::: le « mardi littéraire » de Pascale Casanova sur et avec Chloé Delaume conseillé et commenté par Berlol.
Commentaires
je n'ai pas son talent, son courage (les réactions des partisans) et surtout c'est déjà fait sans que j'intervienne - tentant
Vu son titre, je vais me sentir obligée de lire ce livre...
Ce qui m'intrigue, c'est cette revendication de l'étiquette ("autofiction" - mais ce serait une autre ça m'intriguerait aussi) de la part d'un talent singulier.
il ne s'agit pas du tout, je pense, de revendiquer une étiquette, mais plutôt de réfléchir sur sa pratique - éminemment singulière en effet - à travers cette notion commune
Je le comprends bien ainsi - mais les livres et les auteurs sont déjà si facilement et abusivement étiquetés... c'est bien d'y échapper. Mais dans ce cas précisément singulier - et grâce à cette qualité -, c'est sans doute de peu d'importance.
Charmant ouvrage.
pour préciser, PhA, je suis agacée par l'utilisation qui est faite aujourd'hui de cette notion d'autofiction : l'autofiction est un genre littéraire qui, comme tous les genres littéraire a engendré de grands livres, des livres intéressants, et aussi pas mal de mauvais livres
mais l'autofiction est devenue en effet une sorte d'étiquette qui ne sert plus qu'à focaliser les critiques contre la littérature française contemporaine, dont certains ont décidé une fois pour toute qu'elle ne s'occupait que de son nombril ... je trouve donc amusant que Chloé Delaume l'utilise ainsi, sans doute un peu par provocation
C'est vrai qu'elle peut le faire.
(Bien d'accord aussi à propos de cette réduction simpliste, et pauvre, de la littérature française contemporaine à l'observation du nombril).
Je n'ai pas encore tout compris car je "tombe" ici par hasard et bien que je ne sois pas très mystique, je me plais à croire qu'il y a de curieux hasard.
Vous rencontrer, même virtuellement, à un moment de ma vie ou je n'ai pas besoin de tuer mon père car il est mort il y a presque deux ans mais où j'en bave tellement que je me demande parfois pourquoi je continue à protéger ma mère, et bien je me dis que, hi hi , un jour peut-être, je pourrais dire pourquoi, aujourd'hui, j'en suis là : et ce là n'est pas un "raté" mais un choix conscient.
Je suis fière de ce que je n'imaginais pas faire même si je n'en vis pas et même si je ne publie pas car des écrits incomplets ne peuvent émouvoir ou être compris. De plus, même simuler la fiction ne me guérirait pas du passé : donc pas de déballage. Dans le sac à dos de traumatismes que je n'ouvre que rarement...
Pas de haine non plus, je ne connais pas ce sentiment.
Mais virtuellement, alors oui, grrrrrrrrr, grrrrrrrrr, et le papier absorbe tout. Oh, le co-, salo----- de vie, de destin, grrrrrr...
Je suis heureuse, tout simplement, d'être "tombée" sur vous, qui que vous soyez : j'ai vite compris que ce que je lisais ne pouvait émaner que d'une femme. Mais même...
J'achèterai votre livre et je le lirai avec plaisir. Celui du partage. Celui, non critique, qui saura prendre du recul par rapport au vécu. Celui de la fille qui aurait pu être.
Je suis une grand-mère comblée et tout l'amour que je lis dans les yeux de ma petite fille, dans ceux de mon unique fille, vaut bien que je ne fasse pas trop de bruit.
Je n'ai aucun talent sauf celui de savoir donné une âme à un atelier, à une recontre et oui, j'ai appris à considérer cela comme déjà enorme.
Les coups font mal. Mais les mots, oui, peuvent tuer.
J'ai choisi la prudence. Pour l'amour des miens.
Je crée et partage. Gratuitement. Comme vous ici.
Photos, vidéos, chansons, textes et au bout, de l'humain, de l'humain, de la magie.
Et donc je vis ce qui n'était pas gagné d'avance : bonne continuation et merci pour les bons moments à venir en vous lisant tous. (commentaires)
Personne, personne ne devrait s'appuyer sur le regard des autres pour savoir ce qu'il vaut.
J'ai hâte de lire votre "autofiction"
Calimero (hi hi, vu le pseudo!!)
http://montdemarsan.canalblog.com
(soit deux blogs - publics - en partage)