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Je lis à Théophile une page de mon carnet.

Liste des raisons pour lesquelles je dois tuer ma grand-mère en écrivant un livre (extraits) :

- Elle m'a raconté des histoires, à moi de la raconter, elle.

- Ma grand-mère ne me considère pas comme une écrivaine, mais comme une paumée publiée. Je dois lui démontrer qu'elle a tort, en faisant un roman qui lui charcute le cœur.

- Il n'existe pas de pilules contre la grand-mère, pourtant les symptômes persistent. Il faut donc trouver une thérapie adaptée, qui mêle revanche et guérison. À noter que les psychotiques ne peuvent suivre d'analyse, et qu'il est très urgent de trouver une solution.

- Ceux qui ont des univers sains et ouverts, leurs livres sont moches et débiles. Christine Angot, L'Usage de la vie.

- Ma grand-mère n'aime pas les animaux domestiques, les hommes encore verts à leur âge, le vernis à ongles noir, les surprises, que je me fasse remarquer, les orages, lire autre chose que Télé 7jours, le bruit de chaînes que font parfois les esprits sur le plancher, la viande trop cuite, le groupe Indochine, qu'on fasse une belle réputation à la famille dans le quartier, que les gens pensent que Mamie est méchante, passe sa vie à se faire les ongles et n'a jamais aimé qu'elle-même. Les faits + ma haine = une bonne matière romanesque. N.B.: reprendre ce paragraphe intact, calculer le nombre de signes. Conclure qu'en moins de cinq cents la vieille peut trépasser.

- La littérature est devenue le territoire du commerce et du divertissement. Rappeler qu'elle est, et avant tout, une arme semble nécessaire en ce moment.

- Personne ne prend au sérieux la littérature. Si un roman est capable de tuer, ne serait-ce qu'une vieille dame, l'État va investir, les budgets du ministère de la Culture et du Centre national du livre vont notablement augmenter, soutenant ainsi de nombreux poètes schizophrènes et écrivains non salariés, ce qui peut donc sauver le monde.

Chloé Delaume, Dans ma maison sous terre (Seuil, Fiction & Cie, 2009, p. 116-118)

Et voilà comment l'autofiction peut sauver le monde !

::: le « mardi littéraire » de Pascale Casanova sur et avec Chloé Delaume conseillé et commenté par Berlol.