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Il était peut-être quatre heures et demie. Quatre heures et demie du matin. Je lisais. Mon ordinateur s'est réveillé de son sommeil; il a émis un klang ; la routine de consultation du courrier venait de rapatrier un message. Ce message, expédié à 4:10 a. m., provenait de Jacques Roubaud.

Il y a longtemps que Jacques Roubaud se lève de bonne heure. Nombre d'indices l'attestent (dont ses courriers électroniques). Il l'avoue.
On sait aussi qu'il se couche tôt.
Je me lève tard. Je me couche tard. Au point que cette heure tardive déborde la bonne heure roubaldienne. Il se lève bien avant que je ne me couche. (Mais il se couche bien après que je suis levée.)
Je sais donc, tandis que je lis la nuit, carrée dans mon fauteuil, les pieds posés sur mon bureau ou sur une étagère de ma bibliothèque, je sais qu'il est probable, tandis que je lis, racing against l'aube, qu'à l'autre bout de la ville au moins un autre est réveillé, écrivant, lisant dans le silence et la solitude de ces heures nocturnes qui espacent les sons et distancient les vies.
Il était peut-être quatre heures trente du matin ce jour-là, et le message électronique de Jacques Roubaud me demandait, au cas où je ne dormirais pas (ce qu'il estimait probable) et n'étais occupée à rien d'important ou d'intéressant, de l'appeler au plus tôt. Surprenante urgence. Ceci n'arrive jamais.
Je l'ai donc appelé immédiatement.
Aussitôt décroché, Allô etc., il m'a dicté une adresse web. Une page assez sobre est apparue sur mon écran. Page que je reproduis ci-après.

Jacques Roubaud et Anne F. Garréta, Éros mélancolique (Grasset, 2009, p. 7-8)

En rentrant du Jeudi de l'Oulipo de ce soir, dont le thème n'était pas « Les présidentielles » mais « Cherchez la petite bête », j'ai commencé la lecture de l'étrange opus que semble être ce volume à quatre mains oulipiennes, dont l'incipit, en tout cas, me parle !

::: Monique Petillon, « Roubaud, Garréta et le manuscrit trouvé sur Internet », Le Monde des livres, 15 janvier 2009