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La mouche est si bien organisée qu'elle a pu assidûment fréquenter l'homme depuis des milliers d'années, sans être mise à la porte, ni mise à travailler. Le tout sans se gêner et ne cherchant nullement comme le chat à feindre d'être apprivoisée. Allant même jusqu'à s'installer au bord de ses yeux et à puiser dans ses larmes admirablement salées l'appoint chloruré nécessaire à son régime. Avec la même aisance elle fréquente aussi de plus gros mammifères aux yeux confortables et nul doute qu'elle ne rêve d'yeux plus parfaits encore, creusés au lieu de bombés, pareils à des soucoupes, soucoupes vivantes, distillant le liquide exquis.
Voilà l'être que tout homme, dans une époque qui rend esclave, se doit de bien étudier au lieu des aigles, des lions et des chevaux, ou des princes qui ne lui apprendront jamais ce qu'il lui importerait tellement de savoir : « Comment cohabiter sans servir ? »

Henri Michaux, Passage (1937-1963) (Gallimard, L’Imaginaire, p. 143)