tous ont quelque chose pour eux dans la toile
Par cgat le jeudi 25 juin 2009, 03:39 - citations - Lien permanent
Lecture
Les livres sont ennuyeux à lire. Pas de libre circulation. On est invité à suivre. Le chemin est tracé, unique.
Tout différent le tableau : immédiat, total. À gauche, aussi, à droite, en profondeur, à volonté.
Pas de trajet, mille trajets, et les pauses ne sont pas indiquées. Dès qu'on le désire, le tableau à nouveau, entier. Dans un instant, tout est là. Tout, mais rien n'est connu encore. C'est ici qu'il faut commencer à LIRE.
Aventure peu recherchée, quoique pour tous. Tous peuvent lire un tableau, ont matière à y trouver (et à des mois de distance matières nouvelles), tous, les respectueux, les généreux, les insolents, les fidèles à leur tête, les perdus dans leur sang, les labos à pipette, ceux pour qui un trait est comme un saumon à tirer de l'eau, et tout chien rencontré, chien à mettre sur la table d'opération en vue d'étudier ses réflexes, ceux qui préfèrent jouer avec le chien, le connaître en s'y reconnaissant, ceux qui dans autrui ne font jamais ripaille que d'eux-mêmes, enfin ceux qui voient surtout la Grande Marée, porteuse à la fois de la peinture, du peintre, du pays, du climat, du milieu, de l'époque entière et de ses facteurs, des événements encore sourds et d'autres qui déjà se mettent à sonner furieusement de la cloche.
Oui, tous ont quelque chose pour eux dans la toile, même les propres à rien, qui y laissent simplement tourner leurs ailes de moulin, sans faire vraiment la différence, mais elle existe et combien instructive.
Que l'on n'attende pas trop toutefois. C'est le moment. Il n'y a pas encore de règles. Mais elles ne sauraient tarder ...(1950)
Henri Michaux, Passages (1937-1963) (Gallimard, L’Imaginaire, p. 75-76)
Commentaires
elles tarderont indéfiniment pour ceux qui le voudront (et il est possible d'avoir une lecture dissipée, sauf pour quelques livres qui s'imposent et où l'on suit avec bonheur le sens prévu par l'auteur)
Michaux dans le sac aujourd'hui - vu que le cours sera sur les rapports écriture/édition j'embarque la totale - ben c'est pas du léger le Riton (comme l'appelait Gatti) - et vive le "ceux qui préfèrent jouer avec le chien"on découvre toujours un petit truc en plus au coup de zoom
j'aime beaucoup "les labos à pipette" et puis faisant abstraction du tableau, on peut aussi lire la fin en pensant tout à fait à autre chose :
"Oui, tous ont quelque chose pour eux dans la toile, même les propres à rien, qui y laissent simplement tourner leurs ailes de moulin, sans faire vraiment la différence, mais elle existe et combien instructive.
Que l'on n'attende pas trop toutefois. C'est le moment. Il n'y a pas encore de règles. Mais elles ne sauraient tarder ..."
Rien encore ce matin. J'ai du mal à me faire à ce rythme quelque peu alangui. J'ai été mal habitué.
écrire un récit qui serait une succession de tableaux (pour les raisons qu'il invoque)
J'aime beaucoup "ceux qui dans autrui ne font jamais ripaille que d'eux-mêmes".
PhA : désolée d'avoir mal habitué les lecteurs de ce blog !... il faut savoir changer d'habitudes, parfois ;-)
ce que j'aime, comme vous tous j'ai l'impression, dans ce texte, c'est en effet qu'on peut le lire de multiples façons : j'y lis notamment une belle représentation d'Internet, et pas seulement en raison de l'utilisation du mot "toile"
Je me trompe ou l'image c'est du William Blake ???
Curieux ce texte - disons pédagogique - de Michaux, relevé le 2 janvier 2009 (http://www.epslemont.ch/joker/files...). Je signalais qu'il constituait une préface non pas à Blake, mais à la "Lecture de lithographies de Zao-Wou-ki..."
une préface ou une porte d'entrée sur beaucoup de choses, en effet
c'est bien William Blake : Dante's Inferno, Whirlwind of Lovers