cet océan de liberté que promet la solitude
Par cgat le samedi 18 juillet 2009, 02:35 - écrivains - Lien permanent
10. Écrire
Je ne sais pas très bien à quoi cela tient un écrivain. Pourquoi ni comment quelque chose en soi résiste au-delà de tout, au-delà des soucis d'argent, de la solitude, du sentiment d'incompréhension et d'inutilité qui parfois submerge, de la vanité de toute cette énergie consacrée à témoigner d'une certaine vision du monde, d'une exigence, ou plutôt d'une soif qui exige en soi. Je ne sais pas. Je sais seulement que je ne peux faire autrement, parce que autrement pour moi c'est mourir. Or, j'ai choisi la vie.
Je comprends si bien comment par lassitude ou épuisement, les uns après les autres abandonnent et se replient vers l'ordre de la mort. Je connais ce harassement et ce dégoût de la répétition qui vient sans cesse interroger la qualité de notre exigence et de notre dignité d'homme. Et pourtant ce sont ces intimes fatigues, ce dégoût et ces lassitudes qui nous conduisent progressivement vers la nudité nécessaire à partir de laquelle le vivant peut nous habiter.
Humblement il m'arrive de perdre courage. Cependant l'écriture me redresse et me tient. C'est l'unique façon que j'ai de ne pas complètement échouer à tenir cette promesse qu'est la vie, témoignant ainsi de cet absolu à notre portée qui est celui non pas seulement d'être heureux, mais vivant.
- Vous parlez comme quelqu'un qui a survécu à un traumatisme et vit uniquement pour témoigner, m'a dit, un jour, un médecin.
Je témoigne de cet absolu, n'en finissant pas de survivre à ce traumatisme qu'est le monde. L'absence de sécurité intérieure, où j'ai perpétuellement vécu, m'a « contrainte » à tisser cet incroyable espace spirituel qu'est l'écriture, où je peux m'en libérer.
Elle m'a permis de me construire sur mes propres ruines dont chaque fragment m'appartient. Je suis entrée dans le plaisir intense d'accéder à ma propre vérité. Je sais désormais à quel point la vérité rend heureux et que chercher la sienne c'est aussi dévoiler celle des autres.Écrire seul me donne la légitimité d'être. Je n'en ai aucune autre.
Cette part, inaltérable en moi, personne ne peut la posséder, y compris moi-même, elle m'ouvre un accès continuel à la connaissance qui est, à mes yeux, un autre nom de l'amour. (p. 33-35)18. Solitude
« Je suis seule, même lorsque je suis avec les autres, je suis seule. Seule. Toujours seule. »
Il y a quelques années, un oncle m'a rapporté ces propos que je lui ai tenus enfant.
Plus que de solitude, je vois qu'il s'agit là d'un isolement profond. Celui dans lequel j'ai si largement vécu remonte à mon enfance. Je me souviens qu'autrefois mon isolement était tel que je clignais les yeux, presque sans paupières. Je ne voyais personne à qui m'adresser, personne.
J'éprouve depuis si longtemps que nous sommes en exil de notre propre dignité d'homme, œuvrant dans le jardin du diable comme sur des terres étrangères.La solitude est l'unique façon que j'ai trouvée d'échapper à cet isolement. Seule, je rejoins le monde, puisque j'écris. Et ainsi, vient l'opulence.
Je lis couchée sur mon lit. Le motif de mon gilet projette sur mon livre un éclat de soleil qui va et vient au rythme de ma respiration. Être là pour témoigner de la sensualité paisible de cette tache de lumière justifie, à mes yeux, mon existence tout entière. Cette délicatesse, la présence des autres l'altère. Mais ce sont ces délicatesses dont j'ai aussi besoin pour vivre.
Nous ne voulons pas être seuls parce que nous ne voulons pas être libres. C'est si terrible d'être son propre maître avec sa propre loi. Et accrochés à nos contraintes comme à un misérable parapet, nous nous dérobons à cet océan de liberté que promet la solitude. (p. 51-52)
Lorette Nobécourt, L’Usure des jours (Grasset, 2009)
Une dépression oblige une femme à reprendre les choses de sa vie dans l'ordre et en 44 chapitres : 1. Naître 2. Prénom 3. Père 4. Mère, etc.
Lorette
Nobécourt est née à Paris le 16 septembre 1968 et a publié aussi :
- La Démangeaison (Sortilèges, 1994 ; réédition Grasset en
2009)
- L'Équarrissage (Grasset/Les Inrockuptibles, 1997)
- La Conversation (Grasset, 1998)
- Horsita (Grasset, 1999)
- Substance (Pauvert, 2001)
- Nous (Pauvert, 2002)
- En nous la vie des morts (Grasset, 2006)
::: un article de Marine Landrot pour Télérama
Commentaires
Mon mari l'a emprunté en bibliothèque, justement. Je crois que je vais lui chiper !!
Très belles phrases sur l'acte d'écrire pour survivre "au traumatisme du monde". Et sur la solitude aussi. Encore un livre à acheter, mais il y en a tant...
le 10 aurait pu être écrit par un des "moines-soldats" de bassmann, d'ailleurs qui sait ?