rater encore rater mieux
Par cgat le lundi 24 août 2009, 01:04 - citations - Lien permanent
Encore. Dire encore. Soit dit encore. Tant mal que pis encore. Jusqu'à plus mèche encore. Soit dit plus mèche encore.
Dire pour soit dit. Mal dit. Dire désormais pour soit mal dit.
Dire un corps. Où nul. Nul esprit. Ça au moins. Un lieu. Où nul. Pour le corps. Où être. Où bouger. D'où sortir. Où retourner. Non. Nulle sortie. Nul retour. Rien que là. Rester là. Là encore. Sans bouger.
Tout jadis. Jamais rien d'autre. D'essayé. De raté. N'importe. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux.
(...)
Pire moindre. Plus pas concevable. Pire à défaut d'un meilleur moindre. Le meilleur moindre. Non. Néant le meilleur. Le meilleur pire. Non. Pas le meilleur pire. Néant pas le meilleur pire. Moins meilleur pire. Non. Le moins. Le moins meilleur pire. Le moindre jamais ne peut être néant. Jamais au néant ne peut être ramené. Jamais par le néant annulé. Inannulable moindre. Dire ce meilleur pire. Avec des mots qui réduisent dire le moindre meilleur pire. À défaut du bien pis que pire. L'imminimisable moindre meilleur pire.
La paire. Les mains. Mains étreintes étreignant. Ce peu s'en faut vrai ! Comme lorsque d'abord dite sur mains atrophiés la tête. Mains atrophiées ! Eux là donc les mots. Maintenant ici étreintes étreignant. Comme lorsque d'abord dit. Dé-dédit lorsque plus mal dit. Ouste. Mains étreintes étreignant !
Les vides aussi. Ouste. Nulles mains dans le -. Non. Garder aux fins de pire à dire. Tant mal que pis pire tant mal que pis dire. Dire pour l'instant encore vues. Obscurément vues. Blanc obscur. Deux mains vides d'un blanc obscur. Dans la pénombre vide.
Ainsi cap au moindre encore. Tant que la pénombre perdure encore. Pénombre inobscurcie. Ou obscurcie à plus obscur encore. À l'obscurissime pénombre. Le moindrissime dans l'obscurissime pénombre. L'ultime pénombre. Le moindrissime dans l'ultime pénombre. Pire inempirable.
Quels mots pour quoi alors ? Comme ils presque sonnent encore. Tandis que tant mal que pis hors de quelque substance molle de l'esprit ils suintent. Hors ça en ça suintent. Comme c'est peu s'en faut non inepte. Jusqu'au dernier imminimisable moindre comme on rechigne à réduire. Car alors dans l'ultime pénombre finir par dé-proférer le moindrissime tout.
Samuel Beckett, Cap au pire (Worstward Ho, 1982), traduit de l'anglais par Edith Fournier (Minuit, 1991, p. 7-8 et p. 41-43)
Commentaires
Un texte qui implose, qui va vers sa destruction pour dire qu'on ne peut pas dire ? Au début, lisant, je pensais à Valérie Rouzeau mais son spectre est plus large. Son désespoir est trop jeune, encore.
Les mains étreintes étreignant, ce sont toujours elles qui vont cap au pire. Ce sont les mains qui disent. Qui disent pour. Qui disent mal. Qui disent pour soit mal dit.
Et c'est bien pour ça que c'est très différent du constat souvent fait, prosaïquement, d'avoir écrit soi-même comme un pied (c'est à dire peut-être surtout avec trop de tête)
Moi aussi j'ai les mains qui causent. Après trois quatre canons elles deviennent même ineffables? Alors je les lave et ça fait des blurps et des bulles.
Après c'est au doigt et à l'oeil.
Je suis surpris à présent. L'avais déjà lu, mais aujourd'hui drôle de sentiment : que pourrait-il y avoir d'autre que ce tout là, pourquoi "cap au pire" et pas "cap au moindre" ?
C'est pas pire, c'est, c'est tout. Quel piège l'ailleurs.
Bref pourquoi ce côté moral (pire, c'est moral non ?) chez lui d'aussi intelligent.
En même temps j'ai entendu dire que lorsqu'on lui avait donné le prix nobel pour son "évocation de la condition humaine", il avait rétorqué qu'il ne connaissait rien à la condition humaine.