écrire pour penser
Par cgat le jeudi 28 septembre 2006, 01:17 - écrivains - Lien permanent
Le dernier essai de Georges Picard est tout aussi atypique et subjectif que les précédents et son titre, Tout le monde devrait écrire (Corti, 2006), encore plus accrocheur. Il ne faut pas s'y arrêter et découvrir ce texte plein de nuances et de passion, d'humour et d'esprit de résistance, sur la lecture et l'écriture. J'ai aimé notamment la façon dont Georges Picard décrit la cristallisation dans les mots de la « vapeur cérébrale » de la pensée, par exemple :
Pour moi dont la parole est embarrassée, ordinairement hésitante, exceptionnellement explosive et excessive, une pensée riche ou fine ne peut trouver une forme adéquate en dehors de l'écriture. Comme beaucoup, je pourrais aller jusqu'à soutenir que c'est l'écriture qui appelle, stimule et formalise ma pensée. Écrire pour penser plutôt que penser pour écrire : étrange retournement des priorités dans les domaines didactiques, mais positionnement naturel, me semble-t-il, en littérature. Si l'on considère qu'une pensée sans forme n'est qu'une intuition à la limite de l'impalpable, une sorte de vapeur cérébrale, on conçoit aisément l'inéluctabilité de la verbalisation (ou, en tout cas, de la formalisation qui permet de parler de pensée plastique ou musicale). La seule concession, qui n'est pas mince, consiste à accepter l'idée que le lecteur pense en lisant, comme le voyageur vole métaphoriquement en prenant l'avion. Je lis, donc je pense, mais ma pensée est un clignotement le long d'une autre. Pour être au clair avec soi-même, pour savoir de quoi sa propre pensée est réellement capable, l'épreuve de l'écriture me paraît cruciale. Peut-être publie-t-on trop, mais il n'est pas sûr que l'on écrive suffisamment. Tout le monde devrait écrire pour soi dans la concentration et la solitude : un bon moyen de savoir ce que l'on sait et d'entrevoir ce que l'on ignore sur le mécanisme de son cerveau, sur son pouvoir de captation et d'interprétation des stimuli extérieurs. (p. 11-12)
(...) Pourquoi cette - presque - ascèse solitaire ? Pour faire parler en soi la voix personnelle qui se dérobe dans les rapports sociaux. Pour faire remonter à la surface de la conscience organisatrice des éléments mentaux éparpillés, non fixés, magma inconscient et semi-conscient de savoirs que l'on ne sait pas posséder (par savoirs, je n'entends pas des connaissances érudites ; je parle de savoirs du corps, de traces de sensibilité, de bribes de mémorisation... ). (p. 91-92)
On peut lire aussi, au sujet de ce livre un article de Pascale Arguedas.
Commentaires
d'une totale vérité, me semble-t-il, même pour ceux qui ne sont habitués à manier ni la pensée ni l'écriture
Ecrire pour penser, penser pour écrire, jolie spirale enivrante ! Amicales salutations Christine ;-)
Belle lecture en effet et très tonifiante, mais dont le titre, certes accrocheur, ne me semble pas seulement "racoleur" et est à peine "ironique", sauf qu'il engage une conception exigeante de l'écriture (comme de la lecture d'ailleurs)... et j'y verrais même un clin d'oeil à Lautréamont...
en effet c'est un beau titre dont je pense le but n'est pas de racoler ; je voulais simplement dire que, comme d'ailleurs les autres titres de Picard (De la connerie, Tout m'énerve, Le génie à l'usage de ceux qui n'en ont pas ...) il est très efficace : je passe beaucoup de temps à arpenter les librairies et je remarque que sur la table assez austère des essais, ce titre attire irrésistiblement les lecteurs, qui sont tous des écriveurs en puissance et se sentent concernés ...
C'est vrai... avec toujours de l'humour, ce qui est rare dans la catégorie des essais.