oublieuse mémoire
Par cgat le mardi 19 décembre 2006, 00:29 - blogs et internet - Lien permanent
« L'oubli et la mémoire sont également inventifs. »
Jorge Luis Borges (« L'autre duel », Le rapport de Brodie, 1972, Gallimard, Folio, p.102)
Pour Frédérique Roussel, internet a trop de mémoire, pour Hubert Guillaud il n'en a pas assez : accéder à la faculté d'oublier est peut-être le signe d'une maturité et d'un début d'intelligence pour le cerveau global ? ou bien n'est-ce là que de l'anthropomorphisme benêt ?
Et, pour remplir les lacunes de la fresque, une mémoire patrimoniale de la Toile commence à prendre forme, dont la collecte sera confiée à un robot, pas encore très intelligent mais qui devrait le devenir de plus en plus, et dont le petit nom est Heritrix.
Commentaires
merci de lier ces 2 pages que j'avais moi aussi remarquées et mises dans mes liens, l'article FR d'Ecrans et celui de HG -
celui de HG est intéressant parce qu'il pose la question de cette mémoire du point de vue de sa fragilité, de ce qu'elle "perd", alors qu'on est le plus souvent confronté au contraire : la petite aiguille qui surgit de la botte de foin, avec tous les dangers de cet éclatement et de cette rémanence - cette fragilité existe aussi : je me souviens de l'explosion en vol du principal forum Led Zep l'été dernier, pour un pb serveur, alors qu'en 2 ans on y avait fait un formidable travail collectif d'archivage de liens et précisions
chez affordance il y a des réflexions qui recoupent celles-ci, sur l'identité numérique, sur le fait qu'on soit tous très arbitrairement "producteurs de contenu numérique"
par exemple m'étonne bcp que tant d'écrivains, contrairement aux musiciens et autres, confient à leur seul éditeur, ou à cette vague "image presse" le soin de leur présence Internet, au lieu de la maîtriser en fournissant eux-mêmes les contenus qu'ils jugent essentiels
mais évidemment, la webmaster de lignes de fuite reprend la main avec la notion de "mémoire patrimoniale" - perso, je dirais que mon plaisir à l'Internet c'est son côté théâtre, c'est éphémère, ce n'est pas la démarche de fabriquer un objet, comme le symbolise le livre - à preuve là d'écrire dans ce petit carré de commentaire et ce sera balancé d'un clic, sans relire -
je n'aime pas, dans la présentation BNF, ce paragraphe :
"Contrairement à ce qui est pratiqué pour les autres supports, elle n’impliquera pas de démarche particulière de leur part car le dépôt légal sera principalement effectué par le biais de collectes automatiques réalisées par des robots que piloteront les institutions dépositaires. La seule obligation qui incombera aux producteurs sera de fournir, à la demande expresse de la BnF, les codes d’accès et les informations techniques susceptibles de faciliter l’archivage de leurs sites en cas de difficulté. Une procédure de dépôt pourra en outre être mise en ¦uvre à l'initiative de la BnF dans les cas où l’architecture d’un site sélectionné ou les formats utilisés rendraient impossible la collecte automatique."
Je considère légitime dans la mission BNF de pratiquer ce "tri sélectif", plutôt que le confier simplement au commercial Google (voir le blog de leur chef en algorithme, ou leur goujaterie de mettre Edward Munch au service de leur logo), mais de mon côté je serais réticent à le percevoir comme "obligation" - il me semble qu'ici on transpose un concept de la vieille presse et de l'imprimerie sous regard politique (même démocratique) dans le numérique
ça a aussi des limites : il me suffirait d'une nuit pour transférer mon hébergeur en zone internationale hors droit, voire notre ami du jlr hébergé sur la côte pacifique, comment serait-il concerné par ce dépôt BNF ?
l'autre limite est plus intéressante : j'étais hier soir encore sur un de ces sites qui demandent qu'on ne crée pas de lien vers eux, je veux bien envoyer par mail l'adresse - bulles étanches aux robots et au réseau, mais qui considèrent l'outil comme moyen de leur création (moi aussi d'ailleurs j'en ai un ou deux comme ça, pour mon seul usage et mes bidouilles)- certains de ces sites "trou noir" sont de vraies mines web-art, ou explorations des possibles
j'estime de mon "droit" d'utiliser aussi le web comme espace privé, choisissant les destinataires, donc avec des login ou des adresses sans lien, voire même la seule sauvegarde de mes données perso (les 404 de l'ami Phil) et je ne suis pas sûr que j'obtempérerais si on me donnait injonction de livrer mes codes d'accès ?
bon, tout ça va dans le bon sens, et admirons les gens de la BN d'y oeuvrer malgré la pesanteur de ces obligations légales, alors que c'est les lois qu'il faut faire évoluer, et restons, "en avant" (j'ai la liste en vis à vis sur mon écran des liens blogs de Lignes de Fuite), des gratteurs de frontière
"il fait partie de mon bonheur de n'être pas propriétaire" disait Nietzsche, c'est une peu une réponse web au caractère non-patrimonial de ce qu'on y tente ?
désolé d'avoir été si long, c'est pour bien commencer la journée...
je ne pense pas que ce soit sa longueur, cher FB, qui ait bloqué votre commentaire, posté dès l'aube (5h47!) (peut-être plutôt le copier-coller de citation ?) : en tout cas je le rétablis, un peu tardivement (je suis moins matinale que vous) et prendrai le temps d'y répondre plus tard, car les questions que vous posez concernant cet étrange espace privé qui est public - ou public qui est aussi privé - qu'est internet sont importantes ... et vous savez fort bien qu'à titre personnel je partage tout à fait votre goût pour l'éphémère, voire l'anonymat et la "ligne de fuite" ...
quelques compléments à ma première réponse un peu lapidaire (mais il faut tout de même travailler !)
« un de ces sites qui demandent qu'on ne crée pas de lien vers eux (…) mais qui considèrent l'outil comme moyen de leur création », écrivez-vous
vous allez me reprocher de « transposer un concept de la vieille imprimerie », mais j'essaie de réfléchir à partir de ce que je connaît : pour moi un site qui refuse les liens est tout de même un peu comme un texte que l'on tiendrait à faire éditer tout en demandant à son éditeur de ne surtout pas le diffuser : pourquoi ne pas alors se contenter de son disque dur ou de sa clé usb (comme Pessoa de sa « malle pleine de gens ») ? qu'apporte internet à qui refuse le réseau ?
« j'estime de mon "droit" d'utiliser aussi le web comme espace privé »
c'est en effet un des multiples paradoxes d'internet que d'être un espace public que beaucoup d'entre nous considèrent comme un espace privé : il est nécessaire d'être vigilant et conscient que tout ce qui est mis en ligne devient public (c'est ce que souligne fort bien l'article de Libération évoqué dans mon billet ... et le plus grand risque pour ces données nous concernant que nous semons ici ou là n'est probablement pas d'être consultables à l'avenir dans les archives de la Bnf !) ; avec un bémol, tout de même, qui est que l'essence de cet espace public est le lien, justement : des données sauvegardées en ligne mais vers lesquelles ne pointe aucun lien ne sont pas vraiment dans l'espace public, il me semble, et le robot heritrix ne saurait, pour l'heure, les dénicher
« je ne suis pas sûr que j'obtempérerais si on me donnait injonction de livrer mes codes d'accès ? »
il est inutile de demander tout de suite l'asile politique (!) à « notre ami du jlr » comme vous l'écrivez joliment, car de telles injonctions policières ne sont absolument pas d'actualité
le principal souci actuel (et sans doute pour quelque temps encore) est plutôt d'éviter que cette mémoire patrimoniale du web soit par trop lacunaire. Le passage que vous citez a plutôt pour but de donner éventuellement les moyens à la Bnf, par exemple, de récupérer, au même titre que des articles publiés dans des revues imprimées soumises au dépôt légal, les articles (en général non rémunérés) publiés par des universitaires dans des revues dont l'accès est soumis à un abonnement.
... bien sûr je ne sais absolument pas de quoi l'avenir plus lointain sera fait (et, pour aimer lire de la sf, je peux imaginer des lendemains qui déchantent) mais qui pourrait s'en vanter.
donc en confiance pour les aventures à suivre
juste désaccord sur les sites "invisibles" : d'abord parce qu'on peut les partager en tant qu'espace de travail commun, c'est l'enjeu de writely ou de pratique qu'on a de + en + souvent de se bâtir wiki pour équipe de préparation d'un film, d'une pièce de théâtre etc, ou simplement par besoin d'expérimenter en ligne en amont du site "public" - justement parce que de plus en plus on "habite" Internet - non, ce n'est pas la même chose que de créer sur disque dur : een tout cas, j'ai de + en + besoin du Net comme brouillon, et mon disque dur c'est plutôt justement "éditer" un texte pour le constituer en "mémoire" (de la même façon que d'archive ou collecte telle archive)
les injonctions policières, heureusement qu'on n'en est pas là, mais cette question privée/public est constamment posée désormais : en loi actuelle, la détention même d'archives numériques ur mon disque dur pourrait relever d'une atteinte à droit de copie (qui s'applique aux Intranets d'entreprise par exemple, pour leurs revues de presse) alors que ce matériau texte généralisé est notre univers quotidien