La correspondance de Marcel Proust montre également à quel point les rapports entre Proust et sa mère sont passionnels et conflictuels, notamment durant les années 1902-1903. Dans cette lettre par exemple :

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Le samedi soir 6 décembre 1902

Ma petite Maman,
Puisque je ne peux pas te parler je t'écris pour te dire que je te trouve bien incompréhensible. Tu sais ou devines que je passe toutes mes nuits dès que je suis rentré à pleurer, et non sans cause ; et tu me dis toute la journée des choses comme : « je n'ai pas pu dormir la nuit dernière parce que les domestiques se sont couchés à onze heures. » Je voudrais bien que cela soit ça qui m'empêche de dormir ! Aujourd'hui j'ai eu le tort, étouffant de sonner (pour avoir à fumer) Marie qui venait me dire qu'elle avait fini de déjeuner et tu m'en as instantanément puni en faisant, dès que j'ai eu pris mon trional, clouer et crier toute la journée.. J'étais par ta faute dans un tel étal d'énervement que quand le pauvre Fénelon est venir avec Lauris, à un mot, fort désagréable je dois le dire qu'il m'a dit, je suis tombé sur lui à coups de poing (sur Fénelon, pas sur Lauris) et ne sachant plus ce que je faisais j'ai pris le chapeau neuf qu'il venait d'acheter, je l'ai piétiné, mis en pièces et j'ai ensuite arraché l'intérieur. Comme tu pourrais croire que j'exagère je joins à cette lettre un morceau de la coiffe pour que tu vois (sic) que c'est vrai. Mais tu ne le jetteras pas parce que je te demanderai de me le rendre pour si cela peut encore lui servir. Bien entendu si tu le voyais pas un mot de ceci. Je suis du reste bien content que cela soit tombé sur un ami. Car si sans doute à ce moment là Papa ou toi m'aviez dit quelque chose de désagréable, certainement je n'aurais rien fait, mais je ne sais pas ce que j'aurais dit. C'est à la suite de ça que j'ai eu si chaud que je n'ai plus pu m'habiller et que je t'ai fait demander si je devais dîner ou non ici. À ce propos tu crois faire plaisir aux domestiques et me punir à la fois en me faisant mettre en interdit et en disant qu'on ne vienne pas quand je sonne, qu'on ne me serve pas à table etc. Tu te trompes beaucoup. Tu ne sais pas comme ton valet de chambre était gêné ce soir de ne pouvoir me servir. Il a tout mis près de moi et s'est excusé en me disant : « Madame me commande de faire ainsi. Je ne peux pas faire autrement. ». - Quant au « meuble » que tu m'as retiré comme du dessert, je ne peux m'en passer. Si tu en as besoin, donne m'en un autre ou alors j'en achèterai un. J'aimerais mieux me passer de chaises. - Pour ce qui est des domestiques, tu sais que je suis psychologue et que j'ai du flair et je t'assure que tu te trompes du tout au tout. Mais cela ne me regarde pas et je serai toujours content de seconder tes vues à cet égard quand tu m'en auras prévenu car je ne peux deviner que quand Marie a fini de déjeuner je m’expose à la faire renvoyer en lui demandant du feu dans une chambre où Fénelon et Lauris n'ont pu rester malgré leur paletot, et à fumer. Mais je suis affligé - si dans la détresse où je suis, toutes ces petites querelles me laissent bien indifférent - de ne pas trouver dans ces heures vraiment désespérées le réconfort moral sur lequel j'aurais cru pouvoir compter de ta part. La vérité c'est que dès que je vais bien, la vie qui me fait aller bien t'exaspérant, tu démolis tout jusqu'à ce que j'aille de nouveau mal. Ce n'est pas la première fois. J'ai pris froid ce soir ; si cela se tourne en asthme qui ne saurait tarder à revenir, dans l'état actuel des choses, je ne doute pas que tu ne seras de nouveau gentille pour moi, quand je serai dans l'état où j'étais l'année dernière à pareille époque. Mais il est triste de ne pouvoir avoir à la fois affection et santé. Si j'avais les deux en ce moment ce ne serait pas de trop pour m'aider à lutter contre un chagrin qui surtout depuis hier soir (mais je ne t'ai pas vue depuis) devient trop fort pour que je puisse continuer à lutter contre lui. Ainsi j'ai voulu mais trop lard ravoir ma lettre pour M. Valette. D'ailleurs je pourrai lui écrire en sens contraire. Nous en reparlerons.
Mille tendres baisers.
Marcel.

Marcel Proust, 102. Lettre à Jeanne Proust, Correspondance. Édition Kolb (Plon). Tome III, p. 190-191

à voir en ligne : le site du Centre de Recherche Kolb-Proust