la dernière phrase d'un livre
Par cgat le samedi 6 octobre 2007, 01:15 - écrivains - Lien permanent
Convaincu qu'il croise plus de gens sur les avenues du web qu'il n'y en a sur les grands boulevards des métropoles, Cyril se sent relié, depuis l'unité centrale de sa machine, par le fil qui court le long du mur jusqu'à une prise de téléphone, aux millions de personnes qui s'y retrouvent à chaque instant pour oublier la vacuité de leur existence, leurs problèmes et leurs frustrations. Cyril a choisi d'habiter ce monde parallèle dans lequel plus aucun désagrément n'existe. La toile est l'univers des mots, des images et des sens. Pas du corps. Le jeune homme vogue dans cette contrée de l'esprit où la matière n'apparaît plus comme une barrière entre les êtres. Il aborde des inconnus et discute avec eux. S'ils ne lui plaisent pas, il les dépouille et continue son chemin. (p. 56)
Je commence seulement à percevoir certaines des conséquences de son addiction. Le problème repose tout entier dans l'interactivité du média. Se plonger dans les pages d'un bouquin peut amener, dans certains cas, à oublier momentanément la réalité. Plus rien n'existe, mis à part les personnages et l'espace dans lequel ils vivent. Mais la dernière phrase d'un livre, en nous faisant poser l'ouvrage, force le lecteur à réinvestir son existence propre. Le générique d'un film joue le même rôle. La particularité d'Internet repose dans sa propension à repousser ces frontières en développant un monde parallèle. Le délire fictionnel naît de la possibilité d'investir la fiction. L'internaute est maître de la réalité qu'il engendre et partage avec ses semblables. Et puis cette fiction lui préexiste et perdure bien après son passage. L'absence de fin propre crée les conditions nécessaires à l'apparition de la dépendance. Une dépendance d'autant plus forte que les malades se mentent à eux-mêmes. La nature extraordinaire de cette addiction justifie tous les risques que je prends. (p. 139)
Thibaud de Saint Pol, Pavillon noir (Plon, 2007)
Ce suspense en huis-clos entre un jeune hacker schizophrène, enfermé dans une chambre d'hôpital psychiatrique mais connecté à internet, et sa psychiatre ne révolutionne pas l'art romanesque, mais se lit très agréablement.
Thibaut de Saint Pol est né à Maisons-Laffitte, le 9 février 1981.
Il est administrateur de l’INSEE et a déja publié N’oubliez pas de
vivre (Albin Michel, 2004).
Son site propose
les premières pages du roman.
Commentaires
le titre du premier livre ne pourrait il pas être un commentaire du premier.
Le papillonage sur le net a un autre effet, non seulement il peut couper de la réalité, mais il relativise terriblement ce que l'on lit quand on passe très rapidement d'un mouvement du doigt d'un fragment de monde à un autre