compatible avec l'enfance
Par cgat le dimanche 23 septembre 2007, 00:07 - écrivains - Lien permanent
Déporté sur la gauche de l'esplanade (en son milieu dans le sens de la
longueur), se trouve un élément fondamental de son décor : la bouche de
métro qu'a conçue l'artiste français Jean-Michel Othoniel. Jean-Michel Othoniel est un artiste de réputation
internationale dont les œuvres, des installations in situ pour la
plupart, baroques, féeriques, cristallines, colorées, sont confectionnées avec
un matériau prépondérant : le verre. J'aime beaucoup cet artiste. Il crée
des colliers gigantesques qui s'entremêlent aux branches des arbres. La bouche
de métro qui se situe sur l'esplanade se trouve être habillée d'une structure
granulaire dont la forme rappelle celle, évidemment, d'une couronne,
mais également, et c'est de cette manière que je préfère l'interpréter, d'un
carrosse. C'est quelque chose entre la couronne royale et le
carrosse royal : une superposition de ces deux motifs
symboliques. Les deux coupoles de cette structure sont constituées d'un
ensemble de grosses perles colorées : rouges, jaunes, indigo et bleu ciel,
séparées les unes des autres par des disques et épisodiquement par des boules
du même métal bosselé que la balustrade. Les coupoles de Jean-Michel Othoniel
ne possèdent pas le sérieux géométrique, dogmatique, épiscopal, du Duomo de
Filippo Brunelleschi, ni ne font écho aux théories de l'harmonie architecturale
édictées par Leone Battista Alberti dans son célèbre De Pictura
(1435). Leone Battista Alberti arrive un peu trop tôt dans mon intervention car
sinon il m'aurait fourni une transition de rêve pour aborder certaines
considérations essentielles sur l'espace du tableau (et depuis le point
géométrique que j'y occupe l'esplanade du Palais-Royal n'est rien d'autre qu'un
espace pictural géométrique où règne en maître la perspective), et notamment ce
concept qu'il appelle l'historia. Mais je poursuis. Le dessin des
coupoles les rend douces, mignonnes, malicieuses, semblables à ces images dont
les enfants aiment s'imprégner avant de s'endormir, des images dont le
merveilleux résulte d'une simplification attendrissante de la réalité,
altération qui vise à rendre celle-ci inoffensive, compatible avec l'enfance.
Telles sont les deux coupoles de Jean-Michel Othoniel : coupoles dont le
déni d'elles-mêmes et du principe mathématique qui les sous-tend les rapproche
de nos désirs les plus enfouis de relâchement et de
consolation. Dans le même registre, la balustrade de la bouche de
métro, dont j'ai dit qu'elle était faite d'un métal mat, gris, bosselé, a l'air
de se refléter à la surface d'un vieux miroir ou d'un plan d'eau. De ce fait,
dans sa tremblante fragilité de reflet ou de mémoire ancienne, c'est l'époque
immémoriale du conte de fées, ce sont les temps lointains et irréels,
insituables, de Cendrillon, de Peau d'Âne ou de La Belle
au bois dormant que la facture de l'édifice fait circuler dans sa
présence, laquelle ne peut que propulser l'imaginaire de chacun dans
l'atmosphère du conte de fées telle qu'elle subsiste dans sa constitution
psychique. (…) Autre chose encore. J'ai oublié de préciser que la balustrade
est alvéolaire et que quelques-uns des orifices sont comblés (le mot
comblé est ici merveilleux car on peut dire que la présence de cette
œuvre de Jean-Michel Othoniel comble en moi tout un tas de désirs immémoriaux)
par des éléments du même verre coloré que les grosses perles qui ponctuent les
coupoles. Et chacune de ces pièces semble une réponse (maternelle) (rassurante)
(autorisée) qui vient combler une interrogation (une peur) (un vertige)
enfantine (avant de s'endormir : Pourquoi ?). Et chacune de ces
pièces vient donc élucider le trou béant d'une énigme et la remplir de
sens : et la remplir de tendresse. Comme on le voit, mesdames messieurs,
amis des antipodes, je redeviens un enfant toutes les fois que je contemple
durablement le carrosse du Palais-Royal.
Éric Reinhardt, Cendrillon (Stock, 2007, p. 257-259)
Commentaires
je préfère le truc dans ses mots que dans la réalité, pas dérangeant, pas harmonieux, vaguement mignon, et même pas totalement incongru par son coté "mode"
ah bon ... moi j'aimais bien aussi "le truc" avant, et un peu pour les mêmes raisons - ceci dit le Duomo de Brunelleschi, j'aime beaucoup aussi
ma zone de commentaires est-elle un nouveau triangle des bermudes ? la question se pose ...
dans le "salon littéraire" de berlol, ce matin, bernardg écrit :
" ce dimanche matin, par exemple, j'avais écrit à propos de l'extrait présenté sur Lignes de Fuites : "s'agit-il d'une rédaction de classe de seconde que ce monsieur a interpolé dans son livre ? ", question sincère, malgré mon étonnement à voir une telle prose envahir Lignes de Fuite, et que j'imaginais polie (la question) - j'ai vu apparaître mon commentaire, et trois quarts d'heure après il n'y était plus "
je lui réponds :
" @ bernardg : je pense qu'il s'agit en effet d'une fausse manip (peut-être avez vous oublié d'"envoyer" après avoir fait "prévisualiser", cela m'arrive régulièrement) car je n'ai aucune trace de votre commentaire (il n'est même pas bloqué dans mon filtre à spam)
en tout cas rassurez-vous, je ne l'aurais pas censuré pour si peu ; d'ailleurs dimanche matin j'aurais été bien en peine de le supprimer : je faisais la grasse matinée, et pas chez moi en plus (ceci dit je ne pense pas que ce soit un alibi valable, en ces temps de "France qui se lève tôt", plutôt une circonstance agravante!) "
mais FB affirme lui aussi avoir vu ce commentaire :
" je confirme avoir aperçu hier matin ce commentaire sur Lignes de Fuites, à propos de la station de métro décorée, et ça m'avait même fait sourire : après, plus rien ? attendons le réveil de la lectrice "
je suis donc perplexe ! (si d'autres commentaires ont été engloutis dans semblable trou noir, n'hésitez pas à le signaler)
je suis perplexe d'ailleurs aussi devant les réactions aux citations de Reinhardt : je pensais en le lisant qu'il exagérait l'animosité du milieu littéraire à son égard, et s'arrangeait (de manière ma foi assez rusée) pour piéger les critiques en les caricaturant, mais je commence à me demander s'il n'a pas raison...
en tout cas j'ai bien l'intention de continuer à laisser les proses qui me plaisent "envahir" lignes de fuite : non seulement je me lève tard mais je suis résolument contre les contrôles adn aux frontières littéraires !
Alors si un brun dit que personne ne l'aime parce qu'il est blond (c'est ce qu'il dit), et qu'en effet personne ne l'aime, ça confirme qu'il est blond. J'ai bon ?
là tu simplifies, Berlol !
justement, il est blond (et c'est beaucoup plus profond, tautologiquement profond)
Othoniel a-t-il réalisé là qq chose comme une critique détournée ou a-t-il simplement contribué comme tant d'autres à la disneylandisation de Paris (et des centres villes en général) ?
disneylandisation de Paris ?... je ne trouve pas : c'est certes un peu kitsch et je conçois tout à fait qu'on n'aime pas, mais moi j'aime bien (je me souviens avoir eu peur d'abord que son installation soit temporaire et l'avoir abondamment photographié, avant même de me renseigner sur Othoniel) - un peu pour les raisons décrites ci-dessus, l'enfance, le détournement malicieux
par disneylandisation de Paris je désignerais plutôt la façon dont on relooke peu à peu certains quartiers, certains cafés, à l'ancienne, façon Amélie Poulain, pour qu'ils ressemblent à l'idée que les touristes les plus touristes se font de Paris