l'homme de la situation
Par cgat le mardi 2 octobre 2007, 00:27 - écrivains - Lien permanent
L'aventure humaine s'inscrit dans une histoire, on peut logiquement concevoir
sa fin, mais l'orang-outan - oh comme ce nom est doux à prononcer, et quelle
douleur aussi ! - se satisfaisait de son sort et vivait selon sa loi
immuable, accueillant le progrès avec méfiance, une brindille pour pêcher les
insectes dans les troncs creux, une large feuille vibrante pour amplifier les
vocalises de l'amoureux, voilà pour le XXe siècle.
C'est bien assez de modernité, on ne va pas non plus consentir à tout ce
qu'elle propose, pourquoi toujours lui céder, s'équiper de neuf chaque année
comme si le principe de la vie n'était soudain plus le même et que les doigts
un beau matin ne convenaient plus pour se moucher élégamment, sachons tenir
aussi, jouir de la sérénité que procure la longue habitude sous les dehors de
l'hébétude, la stupeur naissant bien plutôt du changement qui nous prend au
dépourvu et fait de nous des proies faciles.
Le temps ne passait pas pour l'orang-outan, le fils imitait son père, l'outil
l'outil, ce programme obéissant au principe de la répétition ne prévoyait pas
de fin. Point d'accélération catastrophique dans le destin de l'orang-outan,
nulle logique funeste à l'œuvre sinon le déclin régulier des forces vitales qui
est un phénomène biologique, il ne complotait pas sa propre extinction comme
nous le faisons sournoisement (bientôt, en vertu des lois de l'évolution, un
bras nous poussera dans le dos pour nous poignarder par traîtrise).
Il y a eu erreur. Il y a eu méprise, c'est évident. Ce cratère s'est ouvert
pour nous engloutir, nous, et débarrasser le monde de la menace que représente
notre pulsion de mort. Saine réaction des forces universelles ainsi déjà la
foudroyante météorite écrasa-t-elle la sotte petite tête du dinosaure emplie de
noirs desseins, il y a soixante-cinq millions d'années. (p. 51-52)
Car au vu de nos résultats, à simplement regarder comment le monde a tourné sous notre règne et ce que nous en avons fait, par cupidité, gabegie, incurie ou toute autre bonne raison de ce genre que nous alléguons ordinairement pour diminuer nos responsabilités, il se déduit que l'orang-outan était bien mieux que nous l'homme de la situation, et j'en veux encore pour preuve cette osmose parfaite avec son milieu à laquelle il parvint sans effort tandis que nous ne la connaissons qu'en de très rares moments d'extase, après le passage du jardinier et du démineur, sous le parasol et le parapluie. (p. 172)
N'était-il pas pourtant, en l'absence de dieux et de Martiens avérés, notre
seul public, avec peut-être le gorille et le chimpanzé, le seul public capable
de prendre la mesure de notre extraordinaire aventure, de s'en ébaudir, de nous
applaudir ? (...)
Pourquoi notre organisation ne produisit-elle pas sur l'orang-outan l'effet de
sidération escompté, sinon parce que la sienne propre lui apparut aussitôt
préférable et si incontestablement supérieure à la nôtre qu'il imagina
peut-être que nous nous en aviserions de nous-mêmes et, par délicatesse, pour
ne pas blesser notre amour-propre, ou par nonchalance, il n'essaya pas de nous
en instruire autrement que par l'exemple. (p. 174-175)
Éric Chevillard, Sans l’orang-outan (Minuit, 2007)
Commentaires
czpable aussi le dauphin, et il z choisi de rire de nous et de nous corriger par le jeu.
idiot - ceci dit j'ai un peu de mal avec certaines phrases, une impression de pesanteur qui rend la progression un peu pénible. Subjectif
le dauphin blanc chinois n'a pas eu tellement à se féliciter d'avoir rencontré l'espèce humaine ...