en somme une infirmité
Par cgat le jeudi 11 octobre 2007, 02:30 - citations - Lien permanent
Le style, cette commodité à se camper et à camper le monde, serait
l'homme ? Cette suspecte acquisition dont, à l'écrivain qui se réjouit, on
fait compliment ? Son prétendu don va coller à lui, le sclérosant
sourdement. Style : signe (mauvais) de la distance inchangée
(mais qui eût pu, eût dû changer), la distance où à tort il demeure et se
maintient vis-à-vis de son être et des choses et des personnes. Bloqué !
Il s'était précipité dans son style (ou l'avait cherché laborieusement). Pour
une vie d'emprunt, il a lâché sa totalité, sa possibilité de changement, de
mutation. Pas de quoi être fier. Style qui deviendra manque de courage, manque
d'ouverture, de réouverture : en somme une infirmité.
Tâche d'en sortir. Va suffisamment loin en toi pour que ton style ne puisse
plus suivre.
Henri Michaux, Poteaux d'angle (1971, Poésie Gallimard, p. 33)
Commentaires
Très belle citation de Michaux. Même si elle serait à discuter : il serait ainsi possible d'aller voir le livre de Derrida sur le style de Nietzsche (n'a t il pas toujours poursuivi le même style : stylet, la même pointe, et en ce sens n'a t il pas toujours approfondi cette inquiétante et chienne de douleur dont il témoignait quand il parlait de sa pensée).
Le même peut aussi être mutation constante de soi.
mais Nietzsche n'avait il pas fait de son style un outil pour sa pensée et non un but de son écrture ?
pas sure que cela s'oppose à Michaux qui me semble viser le moment où le style prend la première place
"Tu t'attends à retrouver l'accent reconnaissable entre tous de l'auteur. Non. Tu ne le retrouves pas. Après tout, qui a jamais dit que cet auteur avait un accent entre tous reconnaissable ? On le sait : c'est un auteur qui change beaucoup d'un livre à l'autre. Et c'est justement à cela qu'on le reconnaît."
Italo Calvino, Si par une nuit d'hiver un voyageur.
Dans Poteaux d'angle particulièrement, j'aime aussi ne pas retrouver le "style" d'autres Michaux (heureux celui qui porte la marque du pluriel dans son patronyme), aimés ailleurs.
J'ai longtemps été fâché — fâché non, ce serait plutôt une réticence — avec la notion de « style ». Je suis moins fâché depuis que j'ai découvert ce texte de Deleuze :
http://remue.net/cont/deleuze1.html
Et puis là en le relisant, je tombe sur une phrase que Deleuze avait écrite, sans doute, en pensant à notre hôtesse, alors je recopie le paragraphe :
« Un style, c’est arriver à bégayer dans sa propre langue. C’est difficile parce qu’il faut qu’il y ait nécessité d’un tel bégaiement. Non pas être bègue dans sa parole, mais être bègue du langage lui-même. Etre comme un étranger dans sa propre langue. Faire une ligne de fuite. Les exemples les plus frappants pour moi : Kafka, Beckett, Gherasim Luca, Godard. »
je suis ravie que Michaux vous inspire ! et merci pour la citation de Calvino, PhA
bien sûr la proposition qu'il fait sur le style est tout à fait discutable - et je suis sûre que Michaux (car il y a une foule de Michaux sous le pluriel du nom, en effet) a dit ailleurs le contraire
il s'agit pour moi moins d'une interdiction de se ressembler que de la prise de conscience d'une limite possible - et de l'invite à la "mutation constante de soi" - dans l'écriture et dans la vie aussi
quant au "bégaiement" de Deleuze, benjamin, il fait partie de mes citations de prédilection (même si je ne croit pas qu'il ait pensé à moi chaque fois qu'il parle de "ligne de fuite", hélas - ce serait plutôt le contraire!) :
j'avais d'ailleurs cité ce beau passage dans la première version de de ce blog, là :
http://consciences.blogspirit.com/a...
(j'ai moi-même du mal à l'y retrouver : il faudrait un jour que je trouve le temps de constituer des archives plus aisément explorables - voire un index bien rangé comme celui de berlol, si je trouve beaucoup de temps!)