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Méthodiquement, au fil des conciles et des conclaves, vous avez éliminé la concurrence. Voyez où cela vous a mené. Amère condition que celle de pape, seul au sommet de l’Église comme le coq du clocher. Vous y parvenez au terme de votre âge, souffrant déjà de la mort qui vous emportera. Vous jetez pourtant toutes vos forces dans la bagarre.

Une lutte de chaque instant contre le sommeil.

Dans sa nuit, le pape rêve de séminaires, de congrès où il se réunirait avec d’autres papes, ses pairs, au bord de piscines plus bleues que le ciel idéal, en l’absence de leurs enquiquinantes épouses. Mais même ce plaisir et ce soulagement lui sont défendus : la solitude vous prive aussi des joies de la solitude.

Je n’ai pour semblables que des morts.

Il rend parfois visite à ses prédécesseurs, gisants de pierre avares de conseils et d’encouragements. S’il admet qu’il ne saurait y avoir autant de papes que de boulangers, par exemple, ou de pharmaciens, il apprécierait d’avoir quelques confrères parmi ses correspondants. Ils échangeraient des informations, de bons tuyaux glanés dans la presse professionnelle, des adresses de fournisseurs.

On se rencontrerait aux réunions syndicales.

Mais la foule qui se masse sous ses fenêtres vient le voir parce qu’il est un spécimen unique. Sa gloire est celle du dernier panda. Il n’a guère le choix de son costume, le matin, son habilleur ne va tout de même pas décliner toute une gamme de vêtements pour cette seule pratique. Et pourtant, le pape n’est si différent nous. Il ouvre son journal avec la même fébrilité, la même hâte que nous, à la même page.

Les petites annonces.

Éric Chevillard, Dans la zone d’activité (Dissonances, 2007, « Le pape », 27)

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Je ne regrette certes pas d’avoir créé le prix lignes de fuite, car non seulement ce prix n’est pas doté, mais c’est à moi qu’il a valu un très beau cadeau, envoyé par son auteur même pour me remercier de lui avoir attribué ce prix à l’unanimité avec moi-même.

Au-delà même des textes savoureux d’Éric Chevillard, qui décrivent des humains emprisonnés dans les mots et les attributs de leur fonction professionnelle (voir aussi, notamment, l’ophtalmologue, le libraire, le chargé de com, la caissière ou la trapéziste) et où l'on trouve également quelques animaux, ce « livre bizarre » (c’est écrit dessus !) est un très bel objet, dont le graphisme est signé par Fanette Mellier, qui rappelle nos cahiers d’écoliers et dont la couverture s’orne en relief d’une toile d’araignée. Le mien possède une couverture jaune cousue de fil rouge : il y a quatre couleurs, vert, bleu, jaune, rouge, et 8 couleurs de fils de reliure, soit 32 combinaisons.

D’autres « livres bizarres » écrits notamment par Céline Minard, Laure Limongi et Louis Watt-Owen vont suivre, et une installation de Fanette Mellier complète le programme.

En ligne, d’autres extraits et descriptions, chez Caroline, Berlol et le Préfet maritime.

… et ne pas oublier d’en profiter pour aller lire le blllet du soir de L’autofictif d'Éric Chevillard.