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(...) peut-être s’apercevra-t-on que le premier homme fut un singe devenu fou.
Ainsi en comprenant la folie, nous approfondirons notre connaissance de l’humanité et nous en réaliserons des aspects cachés et mystérieux. Ils nous faut donc accomplir l’homme, puisqu’il n’est rien d’autre à faire pour ce mammifère égaré dans la prairie des syllogismes et le pâturage des contradictions. L’accomplir dans tous ses sens, dans toutes ses possibilités. Et si le principal de ces accomplissements à l’heure où l’impérialisme opprime les cinq continents est de dégager l’homme des liens sociaux illusoires dans lesquels ce capital a réussi à l’enchaîner, il n’est pas non plus inutile de penser à cet accomplissement qui consiste à dévoiler pourquoi des hommes se sont séparés de nous derrière la vitre opaque du délire. L’homme, perdu au milieu des constellations et des champs de betteraves, y trouvera peut-être, peut-être ! les origines de son enthousiasme pour la théorie des fonctions automorphes, de son inquiétude lorsqu’un miroir se brise, de son rire devant un pot de moutarde ou un chapeau-claque, l’origine de son rire, de son rire un peu fou.

Raymond Queneau, « Comprendre la folie »
(texte inédit, repris p. 151-164 dans Jacques Jouet, Raymond Queneau, La Manufacture, 1988, p. 163-164)