Lorsqu'on va aux puces, on va à la pêche à la trouvaille mais c'est elle qui vous saute aux yeux. Avec toute la puissance de propulsion des puces sauteuses qu'on fait gicler au ciel dans les cours d'école, ou d'un bouchon de bouteille de champ’ qui crève le ciel avec l'éjaculation de bain moussant après. La trouvaille, c'est pas tant l'objet en lui-même celui qu'on peut saisir entre nos mains, mais c'est le saisissement, le nôtre face à l'objet, par l'objet, qui nous fait « booh ! » comme un grand cousin sadique caché derrière les rideaux.
La trouvaille, c'est quelque chose de beau, c'est la beauté qui nous touche, une beauté poétique nous effleure timidement le bras, rien à voir avec une beauté marchande. Peu importe que ça soit un objet « de valeur » ou une acquisition à deux francs six sous, de toute façon, la trouvaille n'est pas considérée comme un objet précieux qu'on garderait dans une vitrine, qu'on mettrait sous clef, qu'on observerait à travers une vitrine et à travers le nuage de notre haleine sur la vitre.
La trouvaille n'est pas un simple objet trouvé (bien qu'un objet trouvé puisse être une véritable trouvaille), comme son nom l'indique, elle doit être dénichée, elle joue à cache-cache, il faut partir à la chasse au trésor comme un pirate. Mais c'est elle qui nous trouve et qui nous surprend. On la prend, elle nous surprend. On avait pu la rêver, mais non se la figurer nettement à l'avance. Elle nous inspire, nous aspire. Elle peuple la caverne de nos rêves, au royaume de la petite sirène. Ce sont des traces d'un monde qui ne nous est pas accessible, d'un monde perdu, passé... ce sont des objets qui ont traversé le temps et que l'on pourrait rapporter en souvenir d’un voyage si on s'embarquait à bord d'une machine à remonter le temps. La trouvaille émeut. Elle éveille la nostalgie de nous-même..
Les objets ont une vie propre, ils se font écho, se cassent, se démembrent. Ils forment un système de signes comme les mots se combinent et se recombinent dans un poème. La vie est un paradoxe, je chasse l'inattendu comme le pirate chasse le trésor. La vie... mise en danger. (p. 89-90)

J’ai toujours adoré les débuts, ça a quelque chose de magique. Mais je déteste les fins, comment peut-on aimer la fin ? C'est toujours triste et beau comme de vieilles lettres calligraphiées qui essayent de rester immobiles sur l'écran brillant mais qui ne peuvent pas s'empêcher de trembloter, irrépressibles sanglots. Il était une fois... et j'étais jeune à l'époque... et je ne lisais jamais un livre jusqu'au bout. Je voletais d'un début à l'autre, abeille qui récolte du pollen et danse d'une fleur à l'autre comme on fait l'amour. J'étais la danse et je dansais et je riais et je tombais et je dansais encore et encore à tout jamais.
J'aime pas les fins même si on peut dire que c'est la clef de voûte de l'histoire, la clef du sens. Peut-être que j'aime pas les sens ni les significations et tous ces machins-là, la vie n'a pas de sens de toute façon, si ? Nan, elle en n'a pas. Elle en a pas j'vous dis ! Y a bien que les petites amoureuses qui continuent à chasser les signes, telles des lépidoptérophiles, ces vieillards à barbe qui chassent les papillons dans le sud de la France. Bien sûr que c'est normal quand on est amoureux de chercher un sens à tout ce sur quoi nos yeux mettent la main, c'est après qu'on s'en mord les doigts, et ça fait mal... aussi mal qu'une morsure de cygne. Quand t'es amoureux, tu traques les signes encore plus méticuleusement que le plus zélé des étudiants en littérature cramponné à son surligneur fluo, et tu les trouves et tu les ramasses encore plus vite que M. Mauve ramassait ses biftons le jour où il est sorti du taxi avec 20000 francs en petites coupures dans les mains et que le vent les a éparpillés comme des feuilles mortes. Et comme M. Mauve, tu t'en fous pas mal de comment les gens y t'regardent alors que tu te précipites pour les récupérer et que tu les froisses dans tes mains avec tes jointures blanches tellement tu les serres fort parce que tu voudrais pas en perdre un seul.
C'est à la fin qu'on donne le verdict. C'est quand on a toute l'histoire qu'on peut mesurer les changements. C'est la manière dont les gens changent qui est intéressante. Je pense que quoiqu'il nous arrive dans notre vie, les échantillons de ce qu'on a été à différents moments de notre vie sont conservés quelque part en nous, dans des petites fioles alignées sur les étagères d'un petit placard spécial, au cas où on aurait besoin de mesurer combien on a changé... ou juste pour se faire du mal... on sait jamais quand ça peut être utile. Ça peut toujours servir. (p. 119-120)

Alizé Meurisse, Pâle sang bleu (Allia, 2007)