le marketing de soi-même
Par cgat le mercredi 9 janvier 2008, 01:28 - blogs et internet - Lien permanent
Pendant des siècles, les riches et les puissants ont illustré leur existence et leur rang à travers des portraits peints. Marque de richesse et gage d’immortalité, les portraits offrent d’intrigantes allusions à la vie quotidienne de leurs sujets – professions, ambitions, attitudes, et, surtout, statut social. De tels portraits, comme le soutient l’historien de l’art allemand Hans Belting, peuvent être compris comme de « l’anthropologie peinte », susceptible de nous apprendre beaucoup, intentionnellement ou non, de la culture dans laquelle ils ont été créés. Les autoportraits peuvent être particulièrement instructifs. En montrant l’artiste à la fois comme il se voit sincèrement et comme il aimerait être vu, ils peuvent simultanément exposer et masquer, éclairer et distordre. Ils sont une opportunité d’expression autant que de recherche de soi. Ils peuvent déployer l’égotisme comme la modestie, l’auto-promotion comme l’auto-dérision.
Aujourd’hui, nos autoportraits sont démocratiques et digitaux ; ils sont faits de pixels plutôt que de pigments. Sur des sites de réseaux sociaux comme MySpace et Facebook, nos autoportraits modernes s’agrémentent de musiques d’ambiance, de photos soigneusement retouchées, de flux de pensées en continu, et de listes de nos hobbies et de nos amis. Ils sont interactifs, invitant les visiteurs non seulement à regarder, mais aussi à contribuer à cette vie représentée en ligne. Nous les créons pour trouver l’amitié, l’amour, et cette ambiguïté moderne nommée « contact ». À l’instar des peintres reprenant sans cesse leur œuvre, nous modifions, actualisons et peaufinons nos autoportraits en ligne ; mais ces objets digitaux sont bien plus éphémères que les huiles sur toile. Statistiques essentielles, chair à vif entraperçue, inventaire de musiciens et de poèmes favoris réclament notre attention – et c’est cet éternel et humain désir d’attention qui émerge, thème dominant de ces vastes galeries virtuelles.
Bien que les sites de réseaux sociaux n’en soient encore qu’à leurs débuts, on constate leur impact culturel : dans nos langues (les amis « s’ajoutent » désormais), chez nos politiques (il est maintenant de rigueur pour un candidat de cataloguer ses vertus sur MySpace), sur les campus universitaires (où ne pas être sur Facebook est un handicap social). Mais nous commençons à peine à saisir les conséquences que nos pratiques sur ces sites ont sur nos relations, et sur nos conceptions de la vie privée, de l’authenticité, de la communauté, de l’identité. Comme devant toute avancée technologique, nous devons prendre en considération le type de comportement social que les réseaux sociaux sur internet encouragent. Cette technologie et son incessante injonction à la collection (d’amis et de prestige), à la performance (par le « marketing » de soi-même) ne va-t-elle pas d’une certaine façon à l’encontre de ce qu’elle nous promet : un sentiment plus solide d’identité et d’appartenance ? L’oracle de Delphes nous disait « connais-toi toi-même ». Aujourd’hui, dans le monde des réseaux en ligne, son conseil pourrait être « fais-toi connaître toi-même ».
Ainsi commence un très intéressant article de Christine Rosen, « Amitiés virtuelles et nouveau narcissisme », publié par NonFiction
voir aussi le reste du dossier, et notamment « Jeu de société. Va-t-on se lasser de Facebook ? » de Barthélémy Menayas
et, aujourd'hui, un billet de Francis Pisani sur le scraping des données personnelles : « Guerre des données/1 - Facebook contre Plaxo »
Commentaires
Vraiment bien vu, les amis qui "s'ajoutent" sur Facebook.
articles pullulent sur ce thème, mais on sent très forte dichotomie entre ceux qui utilisent cet outil encore très malléable (les réseaux sociaux) et parfaitement hétérogène et divers, et ceux qui l'abordent depuis prisme extérieur - on est quelques-uns à être "observateurs pratiquants" de face book depuis 2/3 mois, pour ma part ça influe largement sur comment je peux penser et utiliser le Net, un peu selon la même complexité que discussions la Feuille sur les pdf - c'est un outil de flux qui peut s'associer aux outils de contenus que sont, de ce côté-ci du Net, nos sites et blogs - dans le même dossier non-fiction il y avait article Jean-Baptiste Sofron très intéressant aussi - en tout cas, face book, et parce que justement les questions ci-dessus restent pertinentes, est encore très mobile de l'intérieur - c'est un ensemble vide de données : les contenus sont dans les sites, mais contribue à insérer dans des flux qui peu à peu se hiérarchisent et s'organisent les contenus qu'on travaille ici - attention à ne pas trop se rassurer de s'en dispenser !
urgent de faire comme le petit bonhomme du dessin, quand on le peut
justement, f, je ne suis pas très rassurée de m'en dispenser : j’essaie de comprendre l’intérêt de la chose et tourne autour de cet outil comme un vieille poule has been (et qui regrette le bon temps de l’anonymat sur internet) autour d’un couteau
autant par exemple j’ai tout de suite compris l’intérêt de Second Life, autant j’ai du mal à saisir l’intérêt de Facebook (du moins lorsqu’on n’est plus une étudiante en train d’essayer de rencontrer des mecs, de se faire un réseau et d’organiser ses sorties)
a priori tout m’énerve dans cette interface : le côté gris uniforme, l’obligation de s’inscrire pour pouvoir entrer, le fait qu’une des premières choses qu’on me propose est de « scraper » mon carnet d’adresses mails et de livrer ainsi les coordonnées de personnes sans leur demander leur avis, que l’usage soit d’y exposer ma photo (retouchée ou pas) et ma date de naissance, d’être sommée de décliner ma religion (!), ma situation sentimentale (quoique le « it’s complicate » me plaise assez !), et mon emploi du temps (emploi du temps sur lequel j’aime assez mentir ou à tout le moins entretenir le flou artistique : cela permet de se ménager des moments à soi !)
me fait très peur aussi cette incitation à se faire le plus d’ « amis » possible et à les « gérer » (classement, radiations, etc.) qui me fait irrésistiblement penser à la citation de Bernanos : « Se faire des amis est une ambition de commerçant » (dont je ne garantit pas l’exactitude, je ne sais pas d’où elle vient (post-scriptum : ce serait plutôt une citation de Montherlant, sans davantage de source...))
ce que j’y ai vu en essayant quand même (en m’inscrivant sous le nom d’Emma Bovary (à cause de « it’s complicate » probablement !), c’est pas mal de personnes de ma connaissance qui sont inscrits souvent a minima (peut-être juste pour voir), qui se sont fait quelques amis, ou beaucoup d’amis quand comme vous ce sont des personnes connues, ont constitué des « groupes », mais je ne comprends pas bien ce qu’ils y font
cela m’intéresserait (vraiment, ce n’est pas ironique) que vous, ou d’autres, m’expliquiez ce que vous y faites en tant qu' « observateur pratiquant » (est-ce une religion ?) et à quoi ça sert : « outil de flux » je veux bien mais ça ne me dit pas grand chose ...
Je crois que ces peurs sont d'origine culturelle, ce qui ne veut pas dire qu'elles ne sont pas légitimes.
- Il faut voir Facebook comme une entreprise de services. En échange de votre temps et de vos données, vous jouissez du temps et des données des autres; les couleurs ne sont pas à l'ordre du jour.
- Je ne crois pas que la notion d'"amis" trompe un seul étudiant américain; il s'agit de faire du networking (y compris dans les groupes). Tout y virtuel de l'ami au vampire aux rencontres aux groupes, sauf une mise en réseau bien réelle d'un monde en effet incroyablement ouvert.
- Une fois qu'on a compris ça, on peut y faire du commerce, de la politique ou de la littérature (je suppose que c'est de cela qu'il s'agit pour nos ouvriers qualifiés).
- Reste que, sauf erreur, il n'est pas possible d'en sortir une fois qu'on y est entré, seulement de se déactiver; et que toutes les informations données volontairement sont indestructibles -perdues dans d'improbables limbes réticulaires.
Après quelques chevauchées épiques sur Second Life, je suis revenu au galop à ma first life, finalement beaucoup plus intéressante.
De même, après quelques ronds de jambe chez FaceBook, je me suis aperçu que je n'avais absolument pas de temps à perdre à checker tous les jours les évolutions d'un espace supplémentaire.
Si on a quelque chose à me proposer, on m'écrit. Si on cherche quelqu'un comme moi, on finit sans doute par me trouver. Sinon, basta !
J'ai vu, dans les amis de mes amis, plein de noms que j'ai jugé intéressants, mais je n'ai strictement rien à dire (proposer) à ces personnes !
Peut-être que si l'on cherche du pouvoir, de la notoriété, de l'entregent ou de la mondanité, c'est ce qu'il y a de mieux (et beaucoup moins chiant que des années dans des bars, cocktails, foires au jambon, réunions de partis ou salons du livre...). Sinon...
@ anonyme : je connais peu de peurs qui ne soient pas peu ou prou d'origine culturelle !
@ Berlol : je n'ai pas le souvenir que tu nous ait narré tes chevauchées épiques ?
Trop épiques pour être narrées...
Actuellement, je cherche à faire disparaître mon avatar, mais je n'ai pas encore trouvé le bouton. Si une bonne âme sait où est la touche "suicide"...
aucune idée, je n'ai pas encore pensé au suicide dans Second Life ... d'autant que ton avatar doit fort bien pouvoir se suicider et revenir tout pimpant !
mais si tes chevauchées ont été compromettantes au point d'envisager son éradication définitive, je regrette d'autant plus qu'elles ne soient pas narrables (inénarrables?) ...