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Tout signifie et cependant tout est surprenant. Arcimboldo fait du fantastique avec du très connu : la somme est d'un autre effet que l'addition des parties : on dirait qu'elle en est le reste. Il faut comprendre ces mathématiques bizarres : ce sont des mathématiques de l'analogie, si l'on veut bien se rappeler qu'étymologiquement analogia veut dire proportion : le sens dépend du niveau auquel vous vous placez. Si vous regardez l'image de près, vous ne voyez que des fruits et des légumes ; si vous vous éloignez, vous ne voyez plus qu'un homme à l'œil terrible, au pourpoint côtelé, à la fraise hérissée (l'Été) : l'éloignement, la proximité sont fondateurs de sens. N'est-ce pas là le grand secret de toute sémantique vivante ? Tout vient d'un échelonnement des articulations. Le sens naît d'une combinatoire d'éléments insignifiants (les phonèmes, les lignes) ; mais il ne suffit pas de combiner ces éléments à un premier degré pour épuiser la création du sens : ce qui a été combiné forme des agrégats qui peuvent de nouveau se combiner entre eux, une seconde, une troisième fois.

(...) Tout se passe comme si, à chaque fois, la tête tremblait entre la vie merveilleuse et la mort horrible. Ces têtes composées sont des têtes qui se décomposent.

Roland Barthes, « Arcimboldo ou Rhétoriqueur et magicien », L’Obvie et l’obtus : Essais critiques III (Seuil,1982, p. 122-138)

L’exposition Arcimboldo du musée du Luxembourg se termine : ce peintre très intellectuel, qui nous semble aujourd'hui trop moderne pour appartenir à la Renaissance, y est fort bien mis en relation et en perspective avec les cabinets de curiosités, les poètes et les peintres de son époque.

J’y ai aussi découvert cette magnifique Salome tenant la tête de Jean Baptiste de Bernardino Luini (qui est conservée au Kunsthistorisches Museum de Vienne).