la muette perfection des cyborgs
Par cgat le lundi 14 janvier 2008, 00:23 - écrivains - Lien permanent
La solution exigeait une part d'irrationalité ; seul un humain pouvait ajouter à son analyse un paramètre échappant à la logique pure, et reproduire cette intuition indéfinissable jadis utilisée face aux chess computers. (p. 14)
Je me réveillai dans une chambre aux murs jaunes. Des vêtements s'échappaient de la petite valise en cuir posée sur le lit, une paire de bas, un déshabillé de soie. Au plafond, les moulures de plâtre formaient une tresse végétale ; je m'amusais à suivre la spirale de fleurs grisâtres tout un éprouvant, par à-coups, les étranges palpitations de la chair. De précédentes incarnations m’avaient révélé cette cénesthésie, mais les jeux orchestrés par V. Dee, ces projections à l’intérieur d’organismes archaïques, duraient généralement peu. Horrifié par le rythme des pulsations cardiaques, et par tous ces remous produits par le fonctionnement viscéral, je battais vite en retraite et retrouvais avec soulagement la muette perfection des cyborgs. (p. 14-15)
La main continua son exploration sur la poitrine, le ventre et la région pelvienne. Bien qu'un tel constat ne revêtît qu'une importance secondaire, ce serait donc en femina sapiens qu'il me faudrait agir. L'implant dressa immédiatement la liste des avantages afférents à cette qualité ontologique : intelligence émotionnelle, aptitude au langage, maîtrise du stress... des capacités plus développées que dans l'autre genre homo. Compte tenu de ce qui m'attendait, le programme avait opté pour la forme qui apparaissait maintenant dans l’étroit miroir vissé contre le mur, celle d'une jeune femme, de taille moyenne, aux longs cheveux bruns masquant les fosses claviculaires.
Mon cerveau analysait jusqu’à l’étourdissement un flot de nouvelles sensations. L'interaction avec le milieu exigeait une attention de tous les instants, les pieds pesaient curieusement sur le sol à la recherche d’un équilibre aléatoire. Si une posture requérait l’ensemble des muscles striés squelettiques, plus grande encore était l'énergie dépensée pour un simple exercice. Se lever exigeait un effort trente-cinq fois supérieur au fait de tendre le bras, mille fois supérieur à l'abaissement d'une paupière. Ma situation eût été identique si l'on m’avait subitement confié les commandes rudimentaires de la première fusée dans l'espace. Je n'éprouvais aucune difficulté à comprendre son fonctionnement, mais je m’effrayais, à chaque apprentissage, de la trivialité des manœuvres et de leur extrême fragilité. (p. 16-17)
Voilà exactement ce à quoi me destinait l’épreuve. Le corps que l’on m’avait attribué formait la base d’une conscience aliénée mais féconde. (p. 20)
Le futur est nécessairement inhumain (p. 66)
Robert Alexis, Flowerbone (Corti, 2008)
Ce télescopage très inhabituel entre un sujet est de science-fiction (pour stimuler sa créativité, un cyborg est envoyé en « stage de formation » dans le corps d’une américaine du milieu du vingtième siècle) et une écriture classique, retenue, elliptique, s’avère extrêmement séduisant.
Robert Alexis est né en 1956 et a publié deux autres romans :
- La Robe (Corti, 2006)
- La Véranda (Corti, 2007)
Commentaires
"intelligence émotionnelle, aptitude au langage, maîtrise du stress... des capacités plus développées que dans l'autre genre homo."
Que c'est dit de manière amusante ! :-)