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il est sept heures le mardi sept
octobre deux mille trois parking de champion
au soir les caddies s'étirent longuement
sur le bitume atteignent presque les bagnoles
de l'autre côté du passage central
à gauche une mère de famille charge
le coffre de sa voiture avec du
lait des petits suisses des bananes sa
fille la regarde faire en tenant le
caddie en embrassant tendrement une poupée à
droite un clochard pisse longuement contre le
mur de l'ancienne pharmacie maintenant en
ruines là juste derrière les bennes de
recyclage de verre donc de bouteilles en
grande partie la vapeur se lève se
mélange avec les nuages au dessus du
collège Boris Vian rénové qui ressemble à
un Titanic post soixante huit échoué là
parmi ces banquises de bitume ponctuées de
crottes d'ours polaires il ferme sa
braguette et il va rejoindre là les
copains qui gueulent eh ben toi tu
viens ou quoi il y va puis
s'ouvre une canette juste devant lui
une femme marche vite vers le supermarché
de pas décidé visage rouge une poussette
devant elle qui contient un petit caniche
grisâtre elle se ralentit un peu passe
devant le vendeur de Macadam Express qui
lui dit bonjour elle hoche la tête
les pigeons arrivent en quantité industrielle devant
les bennes où on a déposé une
quantité industrielle de bouts de baguettes moisissant
dans les flaques d'eau de pétrole
de bière de vin d'urine ils
becquètent les bouts de pain s'envolent
à droite à gauche secoués et lancés
par leurs becs puis tout le monde
se casse devant la bagnole qui arrive
vite très vite en prenant le parking
comme raccourci tout le monde sauf un
qui se fait choper vlan pas le
temps de se cacher pour mourir lui
et tout son temps pour être petit
à petit écrasé aplati dans le bitume
ses copains sont perchés sur le mur
de l'ex pharmacie plus qu'une
barrière entre le terrain vague crottes
et les pères de famille qui se garent (p. 33-34)

devant le collège Boris Vian le samedi
onze octobre à onze heure et demie
les mômes mâchent et crachent leur gum
créent un motif de pois grisâtres sur
bitume noirâtre entre crottes chamarrées de toutes
consistances qui laissent apparaître les habitudes alimentaires
de leurs fabricants pas assez de fibres
ici ou bien bien trop là-bas
les gens débarquent encore avec des clebs
tes types apparemment sportifs habillés en jogging
Nike et baskets Adidas et compagnie arrivent
à toute allure font crisser leurs pneus
s'arrêtent ouvrent les portails laissent marcher
pisser courir renifler chier leur pitbull / doberman
pendant que monsieur fume une clope adossé
à sa bagnole une fois Brutus vide
de divers excréments il vire sa clope
majeur sur pouce puis claque le mégot
trace une courbe de roquette en faisant
voler quelques étincelles rougeâtres avant de tomber
par terre là à côte d'une
nouvelle dune fumante les mômes mâchent encore
discutent entre eux de Star Academy Trois
de Charmed Six de on sait plus
on les regarde partir de là courir
les garçons se tapent dessus crient glissent
le miraculeux sens septième du citadin fait
qu'ils marchent courent glissent sautent tombent
pas dans la merde derrière les platanes
devant le grillage automatique qui s'ouvre
pour laisser passer la voiture encore immaculée
d'un prof du proviseur qui sait
les mômes eux la regardent même pas
ils s'entassent en petits groupes dans
leurs jeans leurs sweats leurs baskets américaines
leur uniforme uniforme reflété en face alors
que les grands sortent du lycée professionnel
un autre Titanic de verre et métal
échoué là en plein ville pour remplacer
en deux tours l'ancien qui datait
des années soixante et était tellement naze
déjà que la rouille dégoulinait le long
des murs coulait suintait des blessures béantes
des barres d'acier qui sortaient nues
du béton désarmé comme des os rouges
d'un dinosaure rongé par si peu
de temps si peu de pluie si
peu de soleil si peu de rien
refait flambant neuf flambant sous le soleil (p. 36-38)

Ian Monk, Plouk town (Cambourakis, 2007)

Une suite poétique rigoureusement organisée (11 parties composées chacune de X poèmes de XxX vers de X mots allant de 1 jusqu’à 11 : ci dessus 2 des 7 poèmes de 49 vers de 7 mots) pour évoquer, prosaïquement et avec un humour décapant, le quotidien déglingué d’une banlieue lilloise.

Ian Monk est né en 1960 près de Londres et vit depuis 1984 en France, à Lille, dans le quartier de Fives, où il écrit, traduit en anglais et anime des ateliers d’écriture. Il est membre de l’Oulipo depuis 1998.