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On dérobe à la femme la parole, elle dérobe momentanément le sexe. Moi, je dérobe à mes auteurs leur style, le temps d'un récit. Rien à voir avec un « exercice littéraire ». C'est un livre politique (j'y tiens), et donc féministe (j'y crois). Un féminisme à ma mode, libertaire : un titre moqueur s'impose donc. Je le chipe à ce macho de Dali, qui définissait ainsi le cannibalisme : « le degré suprême de la tendresse ».
Reste maintenant, Lecteur, à te présenter mes honorables pastichés. Dans l'ensemble, je les ai choisis pour la force de leur style. Céline, Perec, Montaigne, La Fontaine et plus près de nous Houellebecq se sont imposés autant par l'originalité de leur inspiration que par l'autorité de leur écriture. Peu m'importait que les auteurs soient, ou non, célèbres. Il suffisait que je les aime, et avec tendresse. Les Historiettes de Tallemant des Réaux sont appréciées par un public lettré, mais on pourra goûter les caprices de l'entreprenante Marquise Héloïse sans avoir lu cet auteur méconnu. Ensuite, mille libertés par rapport au point de départ. Ce sont vraiment des textes libertins qu'on peut lire en oubliant tout à fait qu'ils sont des pastiches et n'y voir que les récits de fantaisies érotiques, celles d'une rate de petite vertu ou d'une star du Crazy, parmi d'autres friponnes. Parfois, la scène est traitée sur ce mode fantastico-comique qu'on ne trouve que chez Ravalec, ou sur un ton badin, avec La Fontaine et Montaigne. Il a même suffi de la suggérer, non sans désinvolture, chez Perec ou Céline. Bref, un prétexte à variations.
Pasticher est une étrange aventure : donner la parole à l'autre, à vrai dire la lui imposer, permet de lui faire dire ce qu'il n'a jamais osé formuler. Entrer par effraction dans le tréfonds d'un auteur, s'approprier son souffle, écouter ses silences, sonder son cœur et ses reins, révéler, au détour d'une phrase, les fantasmes qu'il a toujours tus... quelle jubilation, parfois.

Héléna Marienské, Le degré suprême de la tendresse (Héloïse d’Ormesson, 2008, « Préface », p. 9-10)

Pour passer d’une croqueuse d’hommes à quelques autres, je suggère la lecture du Degré suprême de la tendresse, d’Héléna Marienské : une série « savoureuse » (si j’ose dire s’agissant du motif de la castration punitive par morsure) de pastiches qui sont à la fois très drôles, au premier degré, et très intelligents, dans la « mémoire commune » entre auteur et lecteur qu’ils mettent en jeu.

Bien sûr mon pastiche préféré (c’est aussi celui de l’auteur, qui en parle longuement dans un entretien avec Sylvie Tanette pour la Radio Suisse Romande, dont la fin est tronquée, malheureusement) est le dernier, où elle ose se lancer dans une suite érotique de La Disparition de Georges Perec, sans e bien sûr mais avec aussi quelques autres des contraintes perecquiennes, et même des mots croisés : jubilatoire !

Héléna Marienské est agrégée de lettres et a publié en 2006, chez POL, un premier roman, Rhésus, qui a obtenu plusieurs prix.

deux critiques en ligne :
- « Houellebecq, pour rire » par Didier Jacob
- « Le degré suprême de la tendresse » par Stéphanie des Horts (Revue Littéraire, 33)