se purger du vice naturel d’idolâtrie
Par cgat le mercredi 6 février 2008, 00:37 - citations - Lien permanent
Le tout était surtout pour moi une affaire d’hygiène ; Il faut se purger du vice naturel d’idolâtrie et d’imitation. Et au lieu de faire sournoisement du Michelet ou du Goncourt en signant (ici les noms de tels ou tels de nos contemporains les plus aimables), d’en faire ouvertement sous forme de pastiches, pour redescendre à ne plus être que Marcel Proust quand j’écris mes romans.
Marcel Proust, Lettre à Ramon Fernandez, 1919, citée dans Contre Sainte-Beuve (Gallimard, Pléiade, 1971, p. 690)
Aussi, pour ce qui concerne l'intoxication flaubertienne, je ne saurais trop recommander aux écrivains la vertu purgative, exorcisante, du pastiche. Quand on vient de finir un livre, non seulement on voudrait continuer à vivre avec ses personnages, avec Mme de Beauséant, avec Frédéric Moreau, mais encore notre voix intérieure qui a été disciplinée pendant tout la durée de la lecture à suivre le rythme d'un Balzac, d'un Flaubert, voudrait continuer à parler comme eux. Il faut la laisser faire un moment, laisser la pédale prolonger le son, c'est-à-dire faire un pastiche volontaire, pour pouvoir après cela redevenir original, ne pas faire toute sa vie du pastiche involontaire. Le pastiche volontaire, c'est de façon toute spontanée qu'on le fait ; on pense bien que quand j'ai écrit un pastiche, détestable d'ailleurs, de Flaubert, je ne m'étais pas demandé si le chant que j'entendais en moi tenait à la répétition des imparfaits ou des participes présents. Sans cela je j'aurais jamais pu le transcrire. C'est un travail inverse que j'ai accompli aujourd'hui en cherchant à noter à la hâte ces quelques particularités du style de Flaubert. Notre esprit n'est jamais satisfait s'il n'a pu donner une claire analyse de ce qu'il avait d'abord inconsciemment produit, ou une récréation vivante de ce qu'il avait d'abord patiemment analysé. Je ne me lasserais pas de faire remarquer les mérites, aujourd'hui si contestés, de Flaubert. L'un de ceux qui me touchent le plus parce que j'y retrouve l'aboutissement de modestes recherches que j'ai faites, est qu'il sait donner avec maîtrise l'impression du Temps. À mon avis la chose la plus belle de L'Éducation sentimentale, ce n'est pas une phrase, mais un blanc. Flaubert vient de décrire, de rapporter pendant de longues pages, les actions les plus menues de Frédéric Moreau. Frédéric voit un agent marcher avec son épée sur un insurgé qui tombe mort. « Et Frédéric, béant, reconnut Sénécal ! » Ici un « blanc » et, sans l'ombre d'une transition, soudain la mesure du temps devenant au lieu de quarts d'heure, des années, des décades (je reprends les derniers mots que j'ai cités, pour montrer cet extraordinaire changement de vitesse, sans préparation) :
« Et Frédéric, béant, reconnut Sénécal.« Il voyagea. Il connut le mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, etc. Il revint.
« Il fréquenta le monde, etc.
« Vers la fin de l'année 1867 », etc.Sans doute, dans Balzac, nous avons bien souvent : « En 1817, les Séchard étaient » etc. Mais chez lui ces changements de temps ont un caractère actif ou documentaire. Flaubert le premier se débarrasse du parasitisme des anecdotes et des scories de l'histoire. Le premier, il les met en musique.
Marcel Proust, « À
propos du « style » de Flaubert », La Nouvelle Revue
Française, 1er janvier 1920
Repris dans Contre Sainte-Beuve (Gallimard, Pléiade, 1971, p.
594-595)
Commentaires
C'est précisément à Proust que je pensais l'autre jour en lisant votre post sur Héléna Marienské. Proust pasticheur de Flaubert, mais aussi de Balzac,Saint-Simon, Michelet...
pas sure que le pasticheur m'intéresse, sauf le lecteur que cela l'oblige à être. Parce que l'hommage à Flaubert et au blanc me plait.
Et que je dois l'avouer j'aurais tendance à préférer le pastiché en l'occurence
Un peu de mal à suivre Proust sur ce passage-là de L'Education - le seul qui m'ait toujours un peu chiffonné. Ce meurtre de Dussardier par Sénécal, avec justement ce silence spectaculaire qui le suit, je le trouve un tantinet démonstratif ; il me gêne.
Je ne suis pas le seul, sur ce même passage, Gracq (par ailleurs excessivement sévère sur L'Education) écrit ceci : "Quelle image mélodramatique inattendue, et qui jure avec la lente monotonie de l'ouvrage, que celle de Dussardier abattu par Sénécal sous les yeux de Frédéric !" (En lisant, en écrivant, p. 81)
la fin de l'Education est en effet très déceptive, et en rupture totale avec le reste du roman, mais c'est il me semble un effet voulu par Flaubert, une sorte de paroxysme de la fin nécessaire
je ne qualifierais pas cette scène de démonstrative ni de "mélodramatique" (n'en déplaise à Gracq) : j'y vois plutôt une confrontation brutale avec l'idiotie du réel (au sens de Rosset), au même titre que les cheveux blancs de Madame Arnoux dans chapitre suivant
en tout cas Proust se place sur un tout autre plan : l'intéresse la façon dont ce blanc (dont on voit bien comment il a pu donner naissance aux scènes finales du temps retrouvé) "met en musique" le passage du temps...
Bien d'accord avec vous - toujours très convaincante - sur la "confrontation brutale avec l'idiotie du réel" ; c'est surtout la coïncidence exemplaire (Dussardier/Sénécal) qui fait un peu grosse ficelle. Mais peut-être après tout que Flaubert ne renierait pas la grosse ficelle - dont on peut comprendre qu'elle déplaise à Gracq.
(Désolé d'être un peu "hors sujet" par rapport à Proust).
Côté grosse ficelle, Mme Bovary se pose là aussi. Un mec passe pour soigner son père... Paf ! elle l'épouse. Le premier mec bien sapé qui passe, paf !, il devient son amant. Elle va chez le pharmacien, et hop !, elle sait où est l'arsenic, et dès qu'elle en prend elle clamse...
C'est sans doute que la littérature est ailleurs que dans la ficelle !
sans doute ... dans le roti peut-être ..?
ceci dit je suis certaine que tu trouverais un éditeur pour "Le concept de la ficelle : la littérature revisitée" (... et paf ! et hop !)
La ficelle était grosse, on la tenait bien, prêt à déboulonner la statue du maître ; et voici qu'elle aussi nous lâche à court d'arguments. Oui, la littérature est ailleurs. Et dans le rôti, pourquoi pas ? approuverait-il.
mais pourquoi, PhA, cette volonté de "déboulonner la statue du maître" ?
le roti c'était pour rire
quoique ... Proust comparait bien la Recherche au "boeuf mode" de Françoise "dont les morceaux de viande ajoutés et choisis enrichissent la gelée" (de mémoire)
mais j'ai tendance à penser que la littérature est (comme la vérité (Scully et Mulder avec nous !) ) toujours ailleurs ...
déboulonner la statue du maître aussi, comme le rôti ; c'était pour rire ! j'ai la plus grande admiration, et même de la tendresse, pour Flaubert. et je me disais aussi que, sans doute, il ne cracherait pas sur votre rôti.
je m'amusais juste d'un défaut dérisoire dont la présence vient à propos pour nous rappeler que la littérature, comme Berlol et vous le dites justement, est toujours ailleurs.