refonte ontologique
Par cgat le mardi 5 février 2008, 00:40 - écrivains - Lien permanent
Le débat progressait : les hommes pouvaient-ils être considérés comme des partenaires sexuels intéressants ? Sur le plateau d'Arte, les échanges furent animés. Il y avait du pour et du contre. Des femmes évoquèrent avec enthousiasme les joies de la pénétration. Une grosse pouffiasse blonde témoigna longuement, un second boudin, une Black obèse, renchérit. « Une bonne queue, il n'y a que ça de vrai », résuma d'une belle voix de gorge Emilia, une jeune attachée de presse de Prada, bien moulée, dotée d'une grande bouche de suceuse. On avait tout de suite envie de lui mettre coquette dans le bec. Elle pouvait avoir vingt-trois ans. Elle adorait se faire ramoner, la salope. Devant, derrière, susurrait-elle, j'aime tout ! Boudin Blanc et Boudin Noir firent chorus : la pénétration, c'était trop bon ! Mais leurs consœurs plus âgées n'eurent pas de mal à les convaincre de la tristesse de la chair. Une bite qui ramollit inexorablement devant la chatte d'une femme parce que la femme vieillit, c'est déprimant. Cela atteint profondément l'ego. On filma Emilia en plan fixe, avec en voix off des microrécits de vioques délaissées, frustrées, définitivement minées. Les mecs étaient des porcs, ils les avaient bien sautées au début, et puis après... Quand elles avaient eu trente ans, c'était déjà devenu très dur, à trente-cinq après deux grossesses, c'était la Berezina. Les types voulaient de la viande fraîche, de l'adolescente en jupette, leur sexe était lamentable devant celui de la femme qui les aimait, mais il se redressait comme un gourdin devant la première nymphette qui ramenait son petit cul. Pour les femmes aimantes, le sort était cruel : frustration, boulimie, solitude, somnifères et antidépresseurs, suicide souvent. Le joli visage d'Emilia la baiseuse paraissait horrifié, elle retint de longs instants ses larmes, de toutes ses forces. Ses muscles faciaux tremblotaient. Un silence total régnait sur le plateau de télévision éclairé de couleurs pastel.
Ce moment fut très émouvant, très télégénique. Puis Emilia éclata en sanglots, son mascara coula, elle faisait penser à Nosferatu. Elle se réfugia dans les bras de Stéphane Bern. Il paraissait légèrement déphasé. Des vieilles peaux la prirent alors dans leurs bras plus ou moins ridés, la dorlotèrent. Une radasse permanentée, éplorée elle aussi, la blottit contre sa poitrine flapie, lui murmura des paroles de consolation, comme une mère rassure un bébé qui vient de faire un cauchemar. Il y avait des solutions, elle n'était pas toute seule... La petite attachée de presse était inconsolable, une madeleine.
L'audience de l'émission battit des records : un « mouvement de masse » s'ensuivit. Un peu partout en France, puis dans tous les pays de l'Union européenne, il parut acquis qu'on ne pouvait pas se permettre de conserver l'humain mâle en l'état. Les guerres, la violence, la misère affective et sexuelle des femmes, ça allait bien comme ça. Lorsque l'abeille femelle revient à la ruche après l'accouplement, les ouvrières, pour préserver sa suprématie, effectuent un véritable massacre rituel des mâles présents. Le frelon est supprimé pour deux raisons : il n'est plus utile pour la reproduction, il constitue une menace s'il reste en vie. Il fallait se rendre à l'évidence. L'insémination artificielle déjà, le clonage bientôt avait une conséquence de taille : les hommes n'étaient plus indispensables à la pérennité de l'espèce humaine. Leur libido (libido sentiendi, libido dominandi) était visiblement incompatible avec les besoins fondamentaux des femmes. Une refonte ontologique s'imposait.
Fallait-il gazer ? Très largement, les Européennes, consultées par référendum, s'opposèrent à cette solution radicale. Cela rappelait visiblement des souvenirs pénibles, et de toute façon les infrastructures allemandes avaient été très mal entretenues. Une réponse s'imposa, un moyen terme en quelque sorte : les hommes seraient maintenus en vie, alimentés, éduqués normalement. Mais à la puberté, ils seraient châtrés et leur verge serait sectionnée à la base. L'ablation se ferait sous contrôle médical, sans drame ni douleur (la péridurale serait remboursée et pourquoi pas, si nécessaire, les antidépresseurs).
Héléna Marienské, « Restriction du domaine. À la manière de Michel Houellebecq », Le degré suprême de la tendresse (Héloïse d’Ormesson, 2008, p. 60-62)
un autre long extrait du pastiche (Lire)
Commentaires
Au lu de l'extrait "à la Houellebecq", je me dis qu'à tout prendre, je préfère encore l'original (il se suffit à lui-même), car on croirait ici un pénible "roman de gare"...
Heureusement, les illustrations ne semblent pas des pastiches !
comme l'original, m'a ennuyé et j'ai abandonné.
Cranach a plus de vraie perversité
et je ne suis décidément pas Hoellebecq-compatible
Un extrait qui aurait tendance à me conforter dans la décision de(voire l'incapacité à) ne pas lire Houellebecq.
vos commentaires me donnent à penser que pour goûter un pastiche comme celui-ci, il faut partager avec son auteur deux conditions (ce qui est mon cas mais pas le votre semble-t-il) : apprécier l'écriture de Houellebecq et être néanmoins agacée par le caractère fort peu sympathique de ses fantasmes concernant les femmes, notamment de plus de trente ans ; si ces deux critères sont réunis, on jubile devant la façon dont l'auteur parvient à se couler dans le style tout en retournant les fantasmes comme un gant ...
mais concernant la perversité de Cranach, brigetoun, je suis d'accord !