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Sécurité
Une longue file d'hommes et de femmes, dépouillés de leurs vêtements, piétinent, refroidis et mal à l'aise, attendant de passer l'un après l'autre sous un portique de métal. De temps à autre, un grelot féroce retentit, et les malheureux sont contraints de retirer une autre pièce de leur vêtement, ceinture, montre, collier. C'est souvent le téléphone, l'alliance et les clefs qu'on leur demande de déposer. En chemise et les pieds nus, ces vaincus, ces soumis, ces sujets subjugués sont les Bourgeois de Calais d'un nouvel ordre du monde.
Mais de quel dieu du ciel, de quelle puissance ouranienne sont-ils les prisonniers ? Chacun, ayant enfin convaincu les autorités qu'il est inoffensif et désarmé, attend le geste qui, en lui redonnant son statut de citoyen, l'autorisera à remettre ses chaussures et renfiler ses vêtements. Alors sera-t-il admis à s'engouffrer dans un long boyau noir, avant qu'un grand oiseau d'argent ne le ravisse dans les airs. Ces diableries médiévales ont lieu dans le décor futuriste d'un grand aéroport.

Jean Clair, Journal atrabilaire (Gallimard, 2006, Folio, 2008, p. 138-139)