vider les lieux
Par cgat le samedi 23 février 2008, 00:23 - écrivains - Lien permanent
La passivité me prend dès que je suis seule. Une inertie mauvaise qui engourdit le corps. Jean s'inquiète que je reste assise trop longtemps sur le rebord du lit, sur le rebord de la baignoire. Jean s'inquiéterait de me voir assise là, les pensées par associations tournant et tournant. Tu ne vas pas mettre deux heures pour te sécher, quand même. C’est que parfois l'idée d'action perd de son sens. Il me semble qu'il serait tout aussi bien de rester sans bouger, ne plus rien faire, ne plus m’inscrire dans des gestes, rester assise sur le rebord de la baignoire et m'arrêter là. Sors de la salle de bains le café refroidit. Quelle image de moi livrer aux yeux du dehors, dans quel corps me montrer, cheveux tirés le visage en avant avec sur la bouche un peu de rouge à lèvres. Je passe du temps à compter les petits carreaux de faïence qui décorent le pourtour de la baignoire. Du bleu du blanc du bleu. (p. 27-28)
Je rentre après des détours dans les ruelles voisines. J'évite le boulevard. D'en bas, j'y pense. N'y a-t-il pas trop d'indéfini là-haut ? Cet appartement avec toutes mes choses, les choses de ma vie, ma vie dedans. Est-il bien conseillé de monter les escaliers ? Je pourrais jeter les clés et n'y jamais retourner. Laisser en plan toutes mes affaires et ne plus donner de nouvelles. Décamper. Faire place nette. Débarrasser le plancher. Au bout de quelques mois de loyer impayé, les propriétaires commenceraient à s’inquiéter. Puis ils feraient venir un huissier pour constater mon départ. Ils débarrasseraient mes meubles et mes vêtements, les objets, ils en garderaient peut-être un au passage, tout simplement. Vider les lieux. Ils savent à peine qui je suis. Jean n'est pas inscrit sur le bail. J'existe à peine. (p. 46)
Lise Benincà, Balayer fermer partir (Seuil, Déplacements, 2008)
Lise Benincà, dont c'est le premier livre, vit à Paris et rédige des chroniques pour Le Matricule des Anges. Son écriture retenue et inventive, explore, en revendiquant l’héritage de Georges Perec (dont on retrouve même, décrit p. 38-39, l’« immeuble parisien dont la façade a été enlevée… »), le vide au cœur de chaque espace, public ou privé, extérieur ou corporel.
en ligne :
une lecture à la librairie Litote en tête et une autre lecture à
la galerie Mycroft.
Lise Benincà sera l'invitée d’Alain Veinstein mardi prochain, le 26
février (Du jour au lendemain).
Commentaires
Prochaine lecture, ou au moins lecture prochaine.
merci d'ouvrir le bal !