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Benoit Durand n'avait pas accolé à son texte le fameux schéma qui circulait, par ailleurs, indiquant que l'on pouvait lever l'anonymat par une technique de hachage.
Il n'avait pas rappelé que la Fédération voulait, en fait, un transfert de données nominatives avec consentement de l'assuré et qu'elle se rangeait pour l'heure à cette histoire de code secret pour calmer les esprits. Les associations d'usagers avaient, en effet, pointé que les patients donneraient forcément leur consentement, sans trop réaliser, fragilisés par la maladie ou par leur position d'assuré.
Il n'avait évidemment pas évoqué le double enjeu de cette conquête. D'un côté, la possibilité de sélectionner les patients en éliminant les « mauvais risques » de leur clientèle ou en les surtaxant, de l'autre, le projet de contrôler les prescriptions des médecins pour atteindre le maximum de rentabilité. À terme, il s'agissait que les assureurs deviennent des méga-superviseurs des professionnels de santé, sur le modèle des réseaux de soins américains, les HMO (Health Maintenance Organization). À terme, il s'agissait de remplacer la Sécurité sociale, à but non lucratif, universelle et solidaire par les assurances privées. (p. 57-58)

En assurance santé, c’est l’âge charnière, quarante-trois ans. Si on se reporte à la fameuse courbe en W, c'est l'âge fondamental, à partir duquel la consommation en santé se met à grimper, grimper, à partir duquel les hommes vont pour la première fois consulter, à partir duquel l'optique devient un véritable budget. Avec le vieillissement de la population dans les prochaines années, la cotisation annuelle à une assurance santé va presque doubler. La courbe en W combinée au basculement démographique. Les assureurs vont segmenter les cotisations par tranches d'âge, vont faire payer davantage les plus âgés, vont différencier leurs prestations, c'est l'adéquation au risque, je ne suis pas favorable à cette approche modulaire. Comment construire une grille de prestations face à l’effet vieillissement ? Il faut que je fasse une note sur le sujet.
Je crois savoir que c'est la moyenne d'âge pour le TAA, trouble de l’adaptation avec anxiété, souvent déclenché par l’un des événements de la vie type deuil-divorce-harcèlement-licenciement. J'ai vu une étude là-dessus. Cela pose le problème de la consommation d'anxiolytiques et d'antidépresseurs, avec accoutumance, souvent à partir de quarante-trois ans. Pour qu'il y ait un diagnostic de TAA, il faut une souffrance marquée et une altération significative de la vie sociale. C'est une affection fréquente en médecine générale. Le poste benzodiazépines et IRSS (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine) est lourd pour les assureurs, le recours au psychiatre n’arrive qu'exceptionnellement. De toute façon, Marina, c'est un accident. Cela n'a rien a voir. C’est un accident. Un terrible accident (p. 92-93)

Emmanuelle Heidsieck, Il risque de pleuvoir (Seuil, Fiction & Cie, 2008)

Le monologue intérieur drôle et grinçant d’un assureur qui, pendant l’enterrement de sa belle sœur, entremêle de sombres cogitations personnelles, familiales et relationnelles avec des considérations désabusées sur l’avenir radieux de notre système de santé.

Emmanuelle Heidsieck travaille et vit à Paris.
Elle a été journaliste d’investigation dans le domaine social et a publié un premier roman :
Notre aimable clientèle (Denoël, 2005)

en ligne : François Xavier, « Suite & fin de la Sécurité sociale » (Oulala.net)