Une ville : de la pierre, du béton, de l'asphalte. Des inconnus, des monuments, des institutions.
Mégalopoles. Villes tentaculaires. Artères. Foules.
Fourmilières ?
Qu'est-ce que le cœur d'une ville ? L'âme d'une ville ? Pourquoi dit-on qu'une ville est belle ou qu'une ville est laide ? Qu'y a-t-il de beau et qu'y a-t-il de laid dans une ville? Comment connaît-on une ville ? Comment connaît-on sa ville ?

Méthode : il faudrait, ou bien renoncer à parler de la ville, à parler sur la ville, ou bien s'obliger à en parler le plus simplement du monde, en parler évidemment, familièrement. Chasser toute idée préconçue. Cesser de penser en termes tout préparés, oublier ce qu'ont dit les urbanistes et les sociologues.
Il y a quelque chose d'effrayant dans l'idée même de la ville ; on a l'impression que l'on ne pourra que s'accrocher à des images tragiques ou désespérées : Metropolis, l'univers minéral, le monde pétrifié, que l'on ne pourra qu'accumuler sans trêve des questions sans réponse.
Nous ne pourrons jamais expliquer ou justifier la ville. La ville est là. Elle est notre espace et nous n'en avons pas d'autre. Nous sommes nés dans des villes. Nous avons grandi dans des villes. C'est dans des villes que nous respirons. Quand nous prenons le train, c'est pour aller d'une ville à un autre ville. Il n’y a rien d’inhumain dans une ville, sinon notre propre humanité.

Georges Perec, Espèces d’espaces (Galilée, 1974, p. 85-86)