l'absente de la botte
Par cgat le dimanche 6 avril 2008, 03:03 - citations - Lien permanent
Il y a bien des livres que j'ai lus, moins pour leur contenu, que pour les réflexions, sujet et style, que je savais qu'ils me feraient faire.
Paul Léautaud, Journal littéraire, 11 août 1913 (Gallimard, Pléiade, tome 1, p. 879)
Commentaires
Ah, vous me faites plaisir, cgat ! Je viens justement de passer la semaine à relire les deux volumes des chroniques dramatiques de ce cher Léautaud, le "Théâtre de Maurice Boissard". C'est toujours délicieux, et pourtant la plupart des pièces dont il rend compte ont sombré dans l'oubli. Quel prosateur ! Quelle vivacité, quel esprit, quelle méchanceté aussi ! Une leçon de simplicité, de rythme à chaque page. Tenez, les premières phrases de sa chronique du 1er novembre 1917, à la pertinence intacte :
"Les temps sont durs. La vie n'est pas drôle. La bêtise règne. Le bon Dieu redevient à la mode."
Mais si je me lançais, je pourrais passer la journée à empiler des citations. Allez, quand même, une dernière (l'entame d'un article encore (paru le 23 octobre 1923), il a le génie des débuts) :
"Vous me croirez si vous voulez : il y a encore des gens qui écrivent des tragédies."
Ne publiez peut-être pas ceci, mais c'est drôle, en refermant, il y a quelques années, le journal de Léautaud (ou du moins une partie non négligeable publiée en bottin il y a quelques années), plus encore qu'après la lecture du petit chose, j'avais bien cru que j'étais tombé sur le plus fieffé imbécile qu'il m'ait été donné de lire, pas seulement parce qu'atrabilaire (j'en suis), pas seulement parce que vieux réac (un Debord, considérable, ne l'est-il pas au fond ?), mais parce que prodigieusement borné : tout simplement bête à se taper la tête contre les murs, le littérateur le plus à courte vue de la langue française. Quant à son style… Enfilade de phrases certes grammaticalement correctes, mais sans aucune grâce, on y rampe, à ras de terre, et si l’on y marche, c’est avec d'hénaurmes béquilles, témoins les que que de la phrase témoin, une phrase lourde et sans esprit, aveugle, allant là où la règle veut que les mots aillent, cagneux canard bien français à qui on a coupé la tête. Longtemps j'ai douté de moi dans cette absolue détestation du type qui, bien qu’il s’en défendait, croyait s’élever en filant ses zéros de rond-de-cuir des lettres à tout le monde, quand récemment, j'ai découvert dans la bio de Michaux que cet abject individu détestait Michaux, déconseillant à Paulhan de le publier, le raillant, le qualifiant de fantaisiste et de bluffeur. Dans ce jugement lamentable et ses manoeuvres rouées pour faire disparaître ce qu'il ne comprend pas, le pauvre homme et son bric à bric de phrases cassantes, est là, entièrement là. JFP
Ses phrases, sans aucune grâce ? Avez-vous lu ces merveilles d'ironie, d'émotion voilée que sont Le Petit Ami, In Memoriam, Amours, Madame Cantili ? Borné : et alors ? Il vomit Flaubert, je l'adore, ça ne m'empêche pas d'aimer Léautaud, charmant vieux toqué, blaguant tout et pleurant ses chats... Mais je m'arrête là.
Oui oui, le petit ami. j'avais dit le petit chose. Pour dire le petit truc. Donc lu ça aussi. Imagination zéro. Il le dit lui même. zé-ro-i-ma-gi-na-tion. D'ailleurs je crois me souvenir. Qu'il ne parle que de ça. Dans son journal et ailleurs. Du pourquoi de sa médiocrité. Quand il consent à lever le nez de sa pauvre phrase. Suspendre un temps la verge qu'il fait cingler sur le dos du voisin. Tout a coup l'oeil humide. se souvenant comment son univers s'est trouvé. Irremediablement confiné. Si tôt. Dans les jupes des femmes. Qu'il ne voit qu'avec des yeux d'enfant. Prostituées. Maternelles. Bien gentilles dirait-il. Ajoutant vite : idiotes. Ces femmes qu'il ne voit que d'en bas. L'oeil rivé là où il ne cesse de penser. Les mains accrochées aux jupes. La récrimination d'enfant-roi a la bouche. N'a jamais pu sortir de ça. Blaguant ? rien du tout. Sur quoi, grand dieu ? Rassis dans son caprice. Bête comme chou, je vous dis...
Mais les asperges, en effet, sont délicieuses, en cette saison. Ce midi encore, un régal... (en flan au crabe, arrosé de sauce hollandaise).
PhA, votre recette donne envie ... et apaise le débat !
didier et jean-françois, merci beaucoup d'animer ces pages avec autant de passion quand je ne suis pas devant mon écran !
j'aurais beaucoup de mal à trancher en faveur de l'une ou l'autre de vos opinions car (outre le fait que je ne suis pas très « trancheuse ») je connais très mal Léautaud, dont je me contente de butiner de temps à autre le Journal (dans les trois tomes de la pléiade de la bibliothèque de mon mari) : c'est en général avec plaisir, et j'apprécie le côté irrémédiablement grognon du personnage ainsi que sa capacité à se contredire ; j’aime assez sa prose également, et les que que que ne me dérangent pas
ne pas aimer Michaux est certes une faute de goût, mais, pas plus que sur leurs opinions politiques ni sur leur morale, je pense qu'il ne faut pas juger les écrivains sur leurs méchancetés à l'égard de leur confrères, qui sont presque des exercices de style obligés : d’ailleurs vous faites ça très bien, jean-françois !
Bon d'accord, l'arroseur arrosé... Pardonnez ce prurit verbal. J'y pensais d'ailleurs en écrivant ceci. Rien contre Didier, bien sûr. Mais tout de même, je ne le faisais absolument pas gratuitement : il y a aussi ces terribles phrases sur la collaboration, cet antisémitisme larvé... Moi je dis : vilain bonhomme. Je dis qu'il faut le dire et le redire. Le monde littéraire n'est pas qu'un salon crepusculaire peuplé de poupées de chiffon, dont on s'amuse forcément, que l'on admire aussi, et à qui l'on doit tout pardonner, parce qu'elles ont leur style, parce qu'elles sont mortes, et, au fond de grands enfants attendrissants responsables de rien.
Moi, je suis d'accord avec JFP, j'aime pas trop Léautaud (après l'avoir lu, je précise).
merci ! un vrai nizard nazillard, ce leautaud. qui meriterait un traitement à la maniere chevillard, tiens. bien cuisiné de cents façons...
pour les mêmes raisons que jean-françois ou d'autres, Berlol ?
chacun a le droit d'avoir ses dégoûts, jean-françois ; d'autant que vous les exprimez de manière drôle et efficace !
le seul problème est que si l'on commence à expulser du panthéon littéraire tous les écrivains dont les opinions, les goûts ou la personnalité nous déplaisent (à supposer même que l'on puisse faire la part de ce qui leur appartient en propre et celle des mèmes de leur temps) cela va être le grand désert - et surtout d'un ennui total, car si je lis c'est aussi pour entrer dans des personnalités et des logiques qui ne sont pas les miennes
par exemple, lorsqu'on est une femme, il faut bien très vite s'habituer à passer outre la misogynie de la plupart des grands zauteurs !
Oui, plus ou moins. C'est le cocktail de mièvrerie et de vanité qui ne passe pas.
la misogynie est inacceptable et salit son grand auteur autant qu'elle salit n'importe qui, et que l'on ne parle pas d'esprit du temps où il était loisible et normal de penser ceci ou cela, car de tout temps on en trouve toujours un qui ne l'était pas, misogyne
c'est ce qui fait par exemple l'ambiguité et parfois la petitesse d'un cendrars, ces remarques idiotes, faisant passer lecteur de l'allegresse a l'extreme deception ; et l'odieux d'un morand, ces deux-là écrivant en leur nom, et ne faisant pas passer leurs stupides marottes par la voix d'un autre, ce qui les aurait humanisées...
très d'accord, Berlol, sur ce melange insupportable de sensiblerie et de fausse modestie qui caracterise le léautaud, celui-ci toutes les deux phrases s'epenchant sur son emotivite à fleur de peau...
Eh bien ! c'est un tir groupé. Mièvre, vaniteux, antisémite et mysogyne, frère de Nisard, la cour est pleine ! Et pourtant : j'ai relu In memoriam hier soir, et puis le récit de la mort de la Perruche dans Le Petit Ami, et rien à faire, je trouve ça très beau. Je serais donc sentimental. A vrai dire, je m'en doutais. Heureusement que je ne suis pas paranoïaque !
Cependant, il faudrait préciser : le journal et son piétinement aigre, il y a quelques années, m'est tombé des mains - au milieu du tome 2, quand la guerre s'annonce et que, effectivement, l'antisémitisme devient pénible... Mais, loin de l'absoudre, je ne peux pas m'empêcher de trouver certains de ses textes admirables. Jetez-moi la pierre, du moment qu'elle est virtuelle...
Prenez plutôt un verre de Savennières - quoique avec les asperges, un muscat d'Alsace, sec, ne soit pas mal non plus.
didier, ne vous sentez pas obligé de capituler ...
et puis ne donnez pas de mauvais conseils : je préfèrerais qu'on s'abstienne ici de jeter quelque pierre que ce soit, même virtuelle !
"de tout temps on en trouve toujours un qui ne l'était pas, misogyne" : je n'en suis pas si certaine, jean-françois ... à moins que nous ne placions le curseur de manière différente
mais j'aime la correspondance de Flaubert ... même misogyne
Oh, mais je ne capitule pas, cgat ; simplement, je voulais bien reconnaître que le Journal n'est pas toujours très billant, et par endroits même affligeant. Mais les "romans", enfin les récits brefs, je le répète : merveilles. Sur le même plan, pour moi, que le "Premier amour" de Beckett, par exemple (un de mes texte favoris), ou plutôt de la même famille. Même air, même rythme, même rire étranglé. Sur ce, faites de beaux rêves.
"Je lui fis remarquer que la saison des panais tirait vers sa fin et que si, d'ici là, elle pouvait me faire manger rien que des panais je lui en serais reconnaissant."
SB, Premier amour.
De tout temps vous dis-je. Tenez, Platon, ne rapporte-t-il pas que Socrate eut plusieurs femmes parmi ses maîtres ? Aspasie, compagne de Périclès, célèbre par son esprit et Diotime, prêtresse de Mantinée ?
Encore une fois, ne nous méprenons pas, le pavé numérique n'est lancé que du côté de Fontenay-aux-roses où résidait le haineux briscard...
Coïncidences ?
"Dans un lit non loin du sien, de l'autre côté de la salle, il y avait une vieille femme, malade de la syphillis, et qui geignait tout le temps, sale et ridée abondamment. Je l'ai vu mourir là sans m'en douter beaucoup. Ce jour-là elle faisait : ah ! ah ! depuis le matin, en faisant aller sa tête de droite à gauche, et de gauche à droite, sans s'arrêter, d'un mouvement saccadé et scandé. Cela distrayait un peu les malades. On a si peu d'agrément dans une salle d'hôpital ! J'ai beaucoup songé, depuis, à ces ah ! ah ! de cette vieille femme en train de claquer. Ils n'étaient pas aussi doux, aussi pleins de merveilleux que les ah ! ah ! que ma vieille bonne me chantait jadis pour m'endormir. ils n'étaient pas aussi tendres, aussi soupirants que les ah ! ah ! de le Perruche dans ses moments amoureux, quand elle vous appelait chéri à n'en plus finir. Ils n'étaient pas non plus aussi vifs, aussi clairs, aussi entraînants que les ah ! ah ! de nos refrains de cafés-concerts. Mais, tout de même, ils n'en étaient pas très loin et quelque chose de crispé et de sanglotant relie encore dans mon esprit tous ces ah ! ah ! les uns aux autres. Heureux ceux qui peuvent décéder en poussant ainsi des petits ah ! ah ! inconscients et bien réglés. Avec un petit air de musique non loin de soi, ou même sans musique, cela fait presque une chanson, une chanson pour s'endormir."
PL, Le Petit Ami (1902)
"Ce qui me dérangeait davantage, c'était d'autres bruits, petits rires et gémissements, dont l'appartement s'emplissait sourdement à certains heures, aussi bien de jour que de nuit. Je ne pensais plus à Anne, mais plus du tout, mais j'avais quand même besoin de silence pour pouvoir vivre ma vie. J'avais beau me raisonner, me dire que l'air est fait pour charrier les bruits du monde, et que rires et gémissements y entrent forcément pour beaucoup, je ne m'en affectais pas moins. Les petits rires et gémissements se ressemblent tellement, entre eux !"
SB, Premier Amour (1945)
"Quand était-il né, ce père des pères ? Je n'en sais rien. On a mis deux dates sur sa tombe. Je ne me rappelle jamais la première."
PL, In memoriam (1905)
"Je suis allé, il n'y a pas très longtemps, sur la tombe de mon père, cela je le sais, et j'ai relevé la date de son décès, de son décès seulement, car celle de sa naissance m'était indifférente, ce jour-là."
(Premier Amour)
ET depuis quand Léautaud est-il édité en Pleiade s'il vous plait? A défaut de savoir apprécier un auteur sans a priori, vous pourriez au moins apprendre à lire le nom d'un éditeur sans le prendre pour un autre. Merci.
mea culpa, il s'agit de la collection Mercure de France sur papier bible façon Pléiade, mais l'éditeur reste Gallimard
... en tout cas ce sympathique commentaire me conforte dans mon intention d'étendre la grève générale reconductible sans préavis à mes activités bloguesques
marchenoir, affligeante votre remarque à cgat concernant une erreur d'éditeur...
à moins que ce soit la seule chose que vous ayez à dire...