Concernant le mystérieux Lutz Bassmann dont je parlais dans mon antépénultième billet, Livres Hebdo (730, 18 avril 2008, p. 64-67) vend la mèche en livrant un long entretien « réalisé à dessein par courriel » de Jean-Maurice de Montrémy avec Antoine Volodine, qui commence par ce préambule :

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Avant tout je vais essayer de définir la nature de notre dialogue. Vous vous adressez bien aujourd'hui à quelqu'un qui dit « je », qui a une existence physique, avec qui on peut parler, qui n'est pas un personnage de fiction et qui écrit des livres. Ce quelqu'un, on a pris l'habitude de l'appeler Antoine Volodine. Moi-même je me reconnais dans ce nom, on ne va pas en inventer un autre pour la circonstance. Mais ce quelqu'un écrit des livres et les signe de noms différents, Antoine Volodine, L.utz Bassmann, Manuela Draeger, Elli Kronauer ou autres « voix du post-exotisme ».
Cette multiplicité des signatures est liée à un projet qui consiste à faire apparaître dans le monde éditorial une littérature étrangère écrite en français. Une littérature étrangère dont l'origine n'est pas un pays, mais une fiction, un lieu de fiction, un monde de fiction.
Dans ce monde de fiction, une communauté imaginaire d'écrivains emprisonnés, parmi lesquels Lutz Bassmann, Manuela Draeger, EIIi Kronauer, échappe à l'enfermement, à la mort et à la maladie mentale en composant des livres. La fiction et la réalité se rejoignent lorsque ces livres sont publiés chez de vrais éditeurs de littérature française.
Non seulement ces livres racontent des histoires, mais ils sont issus d'une histoire inventée. Ils existent en tant que livres tout à fait normaux, ils sont mis à la disposition du public qui les lit et qui les trouve bons ou mauvais, étranges ou ordinaires. Mais ils existent aussi comme des objets surgis d'ailleurs, un peu comme des preuves matérielles que l'ailleurs existe, et que dans cet ailleurs, carcéral, concentrationnaire, sans issue, il y a des gens comme Lutz Bassmann et ses camarades. C'est donc une fiction qui produit des objets littéraires qu'on trouve dans la réalité des librairies et des bibliothèques.
Quand je vous répondrai ici, ce sera non seulement parce que je suis auteur de cette fiction où les personnages sont auteurs et composent des livres, mais aussi parce que j'y joue un rôle qui est celui de porte-parole. Pièce de cette fiction, porte-parole de la communauté emprisonnée à laquelle appartient Lutz Bassmann, je le serai aujourd'hui encore dans cet entretien, mais disons que ce sera exceptionnel. À l'occasion de la sortie de ces deux volumes de Lutz Bassmann, je resterai à l'écart et je n’assumerai plus le rôle de commentateur. Cette littérature étrangère dont je parle, qui vient d'ailleurs, et que j'appelle « post-exotisme » est maintenant assez solide pour s'affirmer par elle-même. Lutz Bassmann et ses livres vont exister dans le monde sans ma présence active.

Le reste de l’entretien est jubilatoire, car Antoine Volodine (qui est aussi un pseudonyme, faut-il le rappeler) y brouille davantage de pistes qu’il n’en défriche, déclare au passage que « quelques prémonitions » du post-exotisme « restent non-vérifiées, comme l’extinction de l’espèce humaine », et débouche sur cette belle profession de foi réticulaire :

(…) une machinerie militante accompagnera la sortie du livre. De petites équipes vont coller des affiches, des initiatives sauvages de lecture et de propagande vont être prises. On entre là dans une aventure qui vibre en harmonie avec le post-exotisme, dont la référence fondamentale est l'action collective pour transformer le monde ou le bousculer durablement. Les réseaux qui vont porter la parole des haïkus et des moines-soldats de Lutz Bassmann n'ont rien de sociétés secrètes, soudées par une discipline militaire. Mais ils vont modifier quelque chose dans le ron-ron du monde éditorial. Et ce sera inhabituel et magnifique.

… maintenant j’attends de voir quand l’url de ce billet va apparaître sur l’écran noir.