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Si vous refusez le principe de castration, qui nous exhorte, s'agisse-t-il du choix d'un métier, d'une épouse, ou d'une maison, au gain d'une seule, à renoncer aux multiples voies qui s'ouvrent à nous, me tance mon Mentor ; que s'obstine votre goût du provisoire, entrave à conduire un projet sur une longue durée, vous ne commencerez jamais à rien construire, et vous retrouverez à quarante ans sans aveu, ni feu, ni lieu, autrement dit : sans travail, ni famille, ni maison, mis au ban de la société pour n'avoir honoré aucun de ces trois mots d'ordre, auxquels elle exige, en faveur de sa propre construction, que se soumettent ses membres.
Sauf votre respect, le contredis-je, pourquoi prématurément m'édicterais-je des étapes que le temps, quand il s'est enfui, suscite naturellement dans nos vies ? Garant de ma liberté le provisoire, tant que je n'ai pas atteint l'âge canonique, à l'infini j'aimerais le différer, où ma jeunesse ne me paraîtra plus un présent perpétuel. (p. 42)

Un voyageur, qui a garé son convoi au fond du terrain, et n'a pas l'intention de s'éterniser au-delà de trois ou quatre jours, nous expose avoir vendu sa maison, dont il ne parvenait plus à payer les traites, pour adopter un style de vie itinérant. Selon ce prosélyte, serait sur le point de se concrétiser ce qui constituerait le pire cauchemar de la société : un nombre exponentiel de sédentaires embrasserait cette nouvelle philosophie, à l'instar des populations devenues nomades pour fuir les exactions que commet la soldatesque au cours de la guerre de Trente ans, face à la cherté débridée des loyers, le prix ascensionnel du mètre carré, quitterait les immeubles, se jetterait sur les routes. (p. 50-51)

Xavier Bazot, Camps volants (Champ vallon, 2008)

Un narrateur sans attaches rencontre des nomades aux parcours très divers et décrit une humanité éprise de liberté, de fuite et d’errance. Le vagabondage même de la phrase, d’inversions en détours, oblige le lecteur à prendre son temps et l'invite à refuser la « France de propriétaires » dont on veut nous faire croire qu’elle est un idéal.

Xavier Bazot est né à Bourges le 15 décembre 1955 et a publié :
- Tableau de la passion (P.O.L, 1990)
- Chronique du cirque dans le désert (Le Serpent à Plumes, 1995) (publie.net, 2008)
- Un fraisier pour dimanche (Le Serpent à Plumes, 1996) (publie.net, 2008)
- Stabat Mater (Le Serpent à Plumes, 1999)
- Au bord (Le Serpent à Plumes, 2002)

aussi en ligne :
- Entretien et lecture de nombreux extraits (Travaux Publics, France Culture)
- « où habiter ? où écrire ? » (1999)