internaliser l'interface
Par cgat le mardi 6 mai 2008, 01:11 - écrivains - Lien permanent
- Comment avez-vous commencé ?
- Je travaillais sur une technologie GPS commerciale. Je m'y étais intéressé parce que je pensais vouloir devenir astronome, et les satellites m'ont fasciné. Les idées les plus intéressantes sur la grille GPS, ce que c'est, ce qu'on en fait, ce qu'on pourrait en faire, émanaient des artistes. Des artistes ou des militaires. C'est souvent comme ça, avec les nouvelles technologies. Les applications les plus intéressantes apparaissent sur le champ de bataille ou dans des galeries.
- Mais ça, c'était militaire, au début.
- Bien sûr. Mais les cartes aussi, si ça se trouve. La grille est pareille. Trop simple pour que la plupart des gens comprennent vraiment.
- Quelqu'un m'a dit que le cyberespace est en train d'éclore. C'est le terme qu'elle a utilisé.
- Bien sûr. Le grand retour de l'œuf et de la poule. Une fois qu'on aura fini de le faire éclore, il n'y aura plus de cyberespace, hein ? Il n'y en a jamais eu, en fait. C'était une perspective, une façon de visualiser notre destination. Et avec la grille, on y est. On est passé de l'autre côté de l'écran. Ici même.
Il écarta ses cheveux et la fixa des yeux.
- Archie, là-bas, dit-elle en désignant l'espace vide. Vous allez le suspendre au-dessus d'une rue de Tokyo.
Il hocha la tête.
- Mais vous pourriez le laisser ici en même temps, non ? Vous pourriez l'attribuer à deux endroits physiques. À autant de lieux que vous voulez, en fait. (Il sourit.) Personne ne serait au courant.
- Pour le moment, si on ne vous avait pas dit qu'il est ici, vous ne pourriez pas le trouver sans son URL et ses coordonnées GPS. Et si vous avez ça, c'est que vous savez qu'il y a au moins quelque chose. Mais c'est en train de changer. De plus en plus de sites permettent de poster ce genre d'œuvres. Il suffit de s'y enregistrer pour se régaler. Du moment qu'on a un appareil d'interface comme celui-ci, un ordinateur portable et du wifi.
Elle y réfléchit.
- Mais chacun de ces sites, ou serveurs, ou... portails... ?
- Oui, chacun vous montre un monde différent. Celui d'Alberto me montre River Phoenix mort sur un trottoir. Quelqu'un d'autre pourrait me montrer, je ne sais pas, des jolies choses inoffensives, et rien d'autre. Des chatons, par exemple. Le monde serait composé de plusieurs chaînes.
- Des chaînes ? répéta-t-elle en inclinant la tête de côté.
- Oui. Et vu ce que la télévision commerciale est devenue, ça n'augure rien de bon. Mais pensez aux blogs. Chacun essaye de décrire la réalité, d'une certaine façon.
- Ah ?
- En théorie.
- OK.
- Mais quand on regarde les blogs, en général, ce sont les liens qui donnent le plus de renseignements.
C'est contextuel : pas seulement vers qui pointe ce blog, mais qui y envoie, aussi. (…)
- Alors pourquoi n'y a-t-il pas davantage de gens qui le font ? demanda-t-elle. En quoi est-ce différent de la réalité virtuelle ? Vous vous souvenez, à l'époque on disait que ça allait changer la vie de tout le monde. (…)
- Tout le monde fait de la RV, dès qu'on regarde un écran. Tout le monde. Depuis des dizaines d'années. On n'avait pas besoin de lunettes ou de gants. Ça s'est fait comme ça. La RV était une façon encore plus spécifique de nous dire où on allait. Sans trop nous faire peur, hein ? Mais le locative, on est nombreux à le faire. Mais on ne peut pas faire ça juste avec le système nerveux. Un jour, on pourra. On aura internalisé l'interface. Ça aura évolué au point qu'on l'oubliera. On se promènera dans la rue, et... Il écarta les bras en souriant. (p. 93-96)- Avez-vous vraiment si peur des terroristes que vous êtes prêts à démanteler toutes les structures qui ont créé l'Amérique ? (...)
- Si c'est le cas, vous laissez les terroristes gagner. Car c'est exactement, spécifiquement leur but : vous effrayer au point que vous abandonnerez la loi. C'est pourquoi on leur donne le nom de terroristes. Ils utilisent des menaces terrifiantes pour vous pousser à dégrader votre propre société. (Brown ouvrit la bouche. La referma.) Ça repose sur la même anomalie psychologique qui fait croire aux gens qu'ils vont gagner au Loto. Statistiquement, personne ne gagne. Statistiquement, il n'y a jamais d'attaque terroriste. (p. 188-189)Milgrim considérait que les villes avaient une façon de se dévoiler sur le visage de leurs habitants, particulièrement quand ils partaient travailler le matin. À ce moment, on lisait une sorte de merditude essentielle sur les faces qui n'avaient pas encore affronté la réalité routinière. (p. 351)
William Gibson, Code source (traduit par Alain Smissi, Au Diable Vauvert, 2008) (Spook country, 2007)
L’écheveau d’intrigues croisées qui composent le récit de Code source a beaucoup moins pour but de fabriquer un suspense (on est le plus souvent dans l’auto-parodie) que de dresser la carte, complexe, paranoïaque mais pleine d’humour, de notre « réalité », qui ressemble de plus en plus à la « science-fiction » d’hier.
en ligne :
- « Live in Second Life »
- le site de William
Gibson et son blog
- un site sur
William Gibson
- en
français dans wikipedia