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Certains jours, il se plaît à écrire des phrases dont le vocabulaire et la syntaxe sont si simples, si incolores, qu'à peine déposées sur la page elles commencent aussitôt de s'effacer, emportant avec elles dans le silence les choses ou les créatures dont il avait cru un instant pouvoir fixer les traits. Il vide ainsi le monde de sa substance. Il ne contrarie pas le travail de sape de la mort, mais l'accompagne à sa manière, en aidant ce qui existe à disparaître, ou en contraignant à se taire cela qui espérait une voix... Dans le désœuvrement et le défaut d'amour, il continue d'écrire, avec l'impuissante exaltation du suicidé qui croit tromper le mourir en mimant son œuvre.

D'autres jours, un espoir irrésistible le reprend. Il songe de nouveau à la mer et aux ruelles des villes du Sud comme à la promesse d'un voyage plein de péripéties dont les mots auraient pour tâche de tracer la carte, de prévoir les étapes, de réserver les chambres d'hôtel, et même de visiter à l'avance les monuments considérables ou les îlots déserts. Il se reprend à espérer que l'aventure d'écrire ne soit pas sans importance et qu'elle retarde un peu l'heure de mourir.

Jean-Michel Maulpoix, Portraits d'un éphémère (Mercure de France, 1990, p. 103)