régression
Par cgat le samedi 23 août 2008, 01:58 - écrivains - Lien permanent
Il faudrait répudier ce moralisme : et apprécier nos comportements sans jugement de valeur, en simples stratégies animales. Une cruauté, une fraude, une fuite, un crime sont d’abord des tactiques de survie, d’expansion de plaisir : souvent elles réussissent, tandis que les vies vertueuses ou non-violentes échouent. La Nature est de droite.
Et les plus sales bêtes sont les plus riches d’avenir. On lit la conjecture selon laquelle l’homme de Neandertal homo sapiens à nos côtés il y a quatre cents siècles, aurait disparu parce que trop doux, face aux petits monstres au crâne rond que nous étions déjà et qui se sont, ici ou là, métissés avec lui. J’imagine sa tête d’âne et ses bons yeux, remplis d’un muet reproche pendant qu’on l’éventrait. Longtemps avant d’avoir domestiqué les loups, nous avons tenu ce frère en esclavage, et nous l’avons mangé.
Par quel miracle, et à quelle fin, serions-nous devenus moins féroces ? Est-ce le bilan de ce siècle d’horreur ?
Quelques peuples ont marqué une pause dans l’atrocité : tant leurs mains étaient lourdes de sang. Le temps qu’ils se décrassent, et tout recommencera.
Les valeurs « humaines » n’expriment que les prétentions d’un animal délirant de fausseté, qui s’est toujours surestimé immensément. Et l’on voit que, sous les noms de sagesse, d’affection, de bonté, de douceur, de solidarité, de raison, de savoir, il cache et il en idolâtre l’éternelle adversaire : obscure, tortueuse et sauvage, incontrôlable, immémoriale, absurde, à jamais criminelle, la force aveugle du vivant.
Années 80.Tony Duvert, Abécédaire malveillant (Minuit, 1989, « Postface », p. 141-142)
Triste et étrange destin d’écrivain que celui de Tony Duvert, dont l’écriture originale aura été totalement occultée par le contenu de ses livres. Sa « pédhomophilie » (selon son propre terme) est très à la mode dans l’euphorie et la libération sexuelle des années 70, durant lesquelles il obtient en 1973 le prix Médicis, grâce notamment à son ami Roland Barthes, pour devenir scandaleuse voire criminelle dans les années 80 ; en ce début de 21e siècle où la régression moraliste et puritaine s’accentue, il ne trouverait sans doute pas d’éditeur….
Tony Duvert n’avait d'ailleurs plus rien publié depuis cet Abécédaire malveillant en 1989 et avait à 44 ans totalement disparu de la scène littéraire et publique pour retourner vivre chez sa mère, puis seul après la mort de celle-ci, à Thoré-la-Rochette, un village de 900 habitants dans le Loir-et-Cher. Son corps n’y a été découvert, avant-hier, que plus d’un mois après sa mort.
::: les pages des éditions de Minuit
::: un long entretien avec Guy Hocquenghem et Marc Voline pour Libération (11 avril 1979) (dans lequel, ô scandale, il osait en outre citer La Princesse de Clèves !)
Commentaires
Brrr...
(je n'ai lu de lui que "Paysage de fantaisie", il y a fort longtemps ; je l'avais aimé.)
l'entretien dans Libé : et j'oscille entre refus et adhésion - la postface citée admirable
Et l'horreur de ces corps trouvés longtemps après leur mort, quels qu'ils soient
Quelle horreur...
Oui, Tony Duvert fit scandale à l'époque où le scandale n'était pas la sandale sur la plage du Cap Nègre.
J'ai appris sa mort en lisant le blog de Pierre Assouline. Le conformisme ambiant actuel (et la judiciarisation de tout comportement déviant, quand il n'est pas encore, dès la naissance, fiché) aurait rejeté d'emblée son oeuvre, et donc sa vie.
Elle est belle et neuve cette page. Elle ouvre une béance dans notre mémoire. C'est la première page de lui que je lis. Eclat venu d'un temps où il n'est plus, depuis longtemps, et où ses mots continuent de rayonner d'une lumière noire...
La disparition de quelqu'un qui faisait l'apologie de la pédophilie ne sera un manque pour personne.
très belle illustration de mon propos, aucune importance, merci !
(notons tout de même qu'il ne faisait plus l'apologie de quoi que ce soit depuis près de 20 ans)