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Il faudrait répudier ce moralisme : et apprécier nos comportements sans jugement de valeur, en simples stratégies animales. Une cruauté, une fraude, une fuite, un crime sont d’abord des tactiques de survie, d’expansion de plaisir : souvent elles réussissent, tandis que les vies vertueuses ou non-violentes échouent. La Nature est de droite.
Et les plus sales bêtes sont les plus riches d’avenir. On lit la conjecture selon laquelle l’homme de Neandertal homo sapiens à nos côtés il y a quatre cents siècles, aurait disparu parce que trop doux, face aux petits monstres au crâne rond que nous étions déjà et qui se sont, ici ou là, métissés avec lui. J’imagine sa tête d’âne et ses bons yeux, remplis d’un muet reproche pendant qu’on l’éventrait. Longtemps avant d’avoir domestiqué les loups, nous avons tenu ce frère en esclavage, et nous l’avons mangé.
Par quel miracle, et à quelle fin, serions-nous devenus moins féroces ? Est-ce le bilan de ce siècle d’horreur ?
Quelques peuples ont marqué une pause dans l’atrocité : tant leurs mains étaient lourdes de sang. Le temps qu’ils se décrassent, et tout recommencera.
Les valeurs « humaines » n’expriment que les prétentions d’un animal délirant de fausseté, qui s’est toujours surestimé immensément. Et l’on voit que, sous les noms de sagesse, d’affection, de bonté, de douceur, de solidarité, de raison, de savoir, il cache et il en idolâtre l’éternelle adversaire : obscure, tortueuse et sauvage, incontrôlable, immémoriale, absurde, à jamais criminelle, la force aveugle du vivant.
Années 80.

Tony Duvert, Abécédaire malveillant (Minuit, 1989, « Postface », p. 141-142)

Triste et étrange destin d’écrivain que celui de Tony Duvert, dont l’écriture originale aura été totalement occultée par le contenu de ses livres. Sa « pédhomophilie » (selon son propre terme) est très à la mode dans l’euphorie et la libération sexuelle des années 70, durant lesquelles il obtient en 1973 le prix Médicis, grâce notamment à son ami Roland Barthes, pour devenir scandaleuse voire criminelle dans les années 80 ; en ce début de 21e siècle où la régression moraliste et puritaine s’accentue, il ne trouverait sans doute pas d’éditeur….

Tony Duvert n’avait d'ailleurs plus rien publié depuis cet Abécédaire malveillant en 1989 et avait à 44 ans totalement disparu de la scène littéraire et publique pour retourner vivre chez sa mère, puis seul après la mort de celle-ci, à Thoré-la-Rochette, un village de 900 habitants dans le Loir-et-Cher. Son corps n’y a été découvert, avant-hier, que plus d’un mois après sa mort.

::: les pages des éditions de Minuit
::: un long entretien avec Guy Hocquenghem et Marc Voline pour Libération (11 avril 1979) (dans lequel, ô scandale, il osait en outre citer La Princesse de Clèves !)