une ligne va se tendre
Par cgat le mercredi 17 septembre 2008, 01:23 - écrivains - Lien permanent
Jacques n'est pas mécontent que j'aie reconnu l'excellence de la cabane aux outils romanesques pour écrire. Il s'en flatte avec ironie comme d'un savoir-faire d'amant. Munich d'où je reçois des nouvelles de Zita, Paris où je retournerai un jour, il se conduit comme si ces villes n'existaient pas, comme si je n'existais pas hors du Sumac.
Écrire, affirme-t-il, est une vanité d'idéaliste, la survivance d'une époque où l'on pensait la chose écrite capable d'expliquer, justifier ou réprouver l'ordre du monde. Doit être cependant, il l'admet, un passe-temps agréable et gratifiant pour une femme qui a besoin de gagner sa vie, surtout si elle écrit des romans, et vaut toujours mieux que se faire entretenir par un macho ou exploiter par un patron tout en jouant les émancipées.
Les considérations sur les femmes, sur le roman, auxquelles Jacques, comme tout un chacun, se croit autorisé, m'indiffèrent. À se mettre en tête de les contester point par point on ne fréquenterait plus personne.
Il s'amuse des mises en condition émotionnelles dont j'ai besoin avant de commencer à écrire mais il protège mon temps de travail :
- Ne la dérangez pas, elle écrit.
Mes scrupules sur le vocabulaire de la haine et de la douleur le laissent froid mais il défend mon repos :
- Faites moins de bruit, elle a écrit toute la nuit, maintenant elle dort.Dix mots par ligne, trente lignes par page, trois cents mots sur une page, je compte l'avancée de mon travail chaque nuit : mille, mille cinq cents mots, selon l'énergie.
Se tenir immobile jusqu'à l'engourdissement précède le saut dans le texte. Attendre le temps qu'il faut. Regarder devant soi sans rien voir. Ne penser à rien. Ne plus rien entendre. Voilà. L’arc d'une légère crispation parcourt la colonne vertébrale, s'empare des épaules, se répand dans les bras, redresse la nuque.
En haut, tout est bleu. En bas, noir sur blanc. Je me tiens au plus près du texte, à l'extrême limite de son apparition. Le monde entier est présent, tout le néant possible est là.
Attendre encore.
Je le sais, à la moindre intention tout disparaîtra. Une ligne va se tendre, déterminer le soulèvement d'une image.
J'entends un grondement. Un torrent gelé apparaît. Je brise un éclat de sa cascade éblouissante, il brille comme un miroir, c'est une loupe, je la lance vers les objets célestes.Dominique Dussidour, Le Risque de l’histoire (Laurence Teper, 2008, p. 131-132)
Dominique
Dussidour est née à Boulogne-Billancourt en 1948.
Elle est aussi l’auteur de :
- Portrait de l’artiste en jeune femme : roman (Grasset,
1988)
- Les Mots de l’amour : roman (Grasset, 1991)
- Histoire de
Rocky R. et de Mina : roman (Zulma, 1996)
- Journal de
Constance (Zulma, 1997)
- Bleu palémoine (Les ennemis de Patterne Berrichon, 1997)
- L’alouette lulu (Dont acte I) : roman (Éditions des Syrtes,
2000)
- Desseins de la nuit (Peauésie de l’Adour, 2000)
- Les Matins bleus : roman (La Table ronde, 2002)
- Les couteaux offerts (Dont actes II) : roman (Éditions du
Rocher, 2003)
- Si
c’est l’enfer qu’il voit. Dans l’atelier d’Edvard Munch, Gallimard,
« L’un et l’autre », 2007)
- Matériaux pour un
roman (publie.net, 2008)
Elle est aussi membre du comité de rédaction et préside depuis septembre 2006
l’association remue.net.
::: « Comment la guerre s'incorpore-t-elle à l'acte de lire et d'écrire ? », un article de Cathie Barreau.
Commentaires
pour le moment j'en suis à Matériaux pour un roman - et aux brides sur remue net
aux bribres ?
le texte "Une guerre" et les "matériaux" du livre sur publie.net c'est la 1ère fois qu'une éditrice nous dit oui tout simplement à une telle présence simultanée
dans un des récents Matricule, il y avait interview de Laurence Teper et elle disait perdre de l'argent avec sa maison d'édition, elle ve peut-être en perdre encore avec des auteurs comme Dussidour, Barreau, Michallet (chouette bouquin de Jean-Paul M, "la vie ^revée de Dairo Moreno") mais quel boulot remarquable
je trouve aussi très réussi graphiquement et ergonomiquement son site Internet (nouvelle collection "bruits du temps", beau titre)
est-que l'hôte de Lignes de fuite a repéré
http://www.editionslaurenceteper.co...
Remarquable, oui.
J'ai envie de rajouter Marie Cosnay, et de formuler quelques voeux, bassement matérialistes.
absolument d'accord pour Marie Cosnay
quant au côté matérialiste, Laurence nous dirait en souriant qu'il suffit d'acheter ses livres !
J'abonde, sympathique maison. Elle en perd peut-être aussi avec ses traductions, il paraît que peu de lecteurs ont la curiosité titillée par la littérature germanique, un grand pays de culture voisin ami comme ça, pourtant ! (Noter que Barbara Fontaine s'est vu décerner le prix André-Gide 2008 des trads franco-allemandes pour "Un pays invisible" de Stephan Wackwitz (non que je l'aie lu, mais...)).
merci pour tous ces conseils de lecture ... même si mes étagères débordent déjà de livres "à lire"